Lettre de Gabriel Fauré à la Princesse de Polignac n°22

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(mi-avril ? 1891non daté)

Chère Princesse

J’ai reçu votre bien aimable lettre et le chèque qu’elle contenait. Je vous en remercie de tout coeur ! Mais combien je suis fâché de vous avoir contristée au sujet de Verlaine ! Mais ne vous devais-je pas la vérité ? Je ne veux pas cependant jeter le manche après la cognée et, tant que nous n’aurons pas trouvé mieux, je continuerai résolument le siège du terrible poète !

J’ai lu, ces derniers jours, un livre de vers qui m’a beaucoup frappé Le règne du Silence de Rodenbach ! Je vous le fais envoyer et je vous serai reconnaissant de le lire et de me dire ce que vous en pensez. Il m’a paru que l’auteur est très digne d’une attention particulière, disant des choses bien nouvelles et si justes en même temps !

Je voulais déjà vous écrire hier mais au moment où je prenais la plume ma femme venait d’apprendre que nos amis Roger Jourdain étaient tourmentés de la santé de Pierre : on parlait d’une angine ! J’ai voulu laisser passer vingt-quatre heures pour pouvoir vous donner des renseignements précis et je me félicite de l’avoir fait car les nouvelles sont bien meilleures ce matin, et tout état grave est écarté ! Mais vous pensez si cette alerte a alarmé nos pauvres amis !

Je me suis promis le régal de deux agréables visites pour la semaine prochaine : lundi chez Mme de Monteynard que je n’ai pas vue depuis son retour, et mercredi chez Mme la Duchesse de Camposelice qui m’a écrit un très aimable billet pour me remercier de mes mélodies que je l’avais priée d’accepter. J’espère que chez l’une et chez l’autre on me parlera beaucoup de vous et je m’en réjouis bien vivement !

Je vous raconterai cela.

Je vais me rendre, de ce pas, chez le préfet de la Seine, où je fais parti du jury pour le Concours de la Ville de Paris avec d’Indy et Chabrier. Jusqu’ici je ne puis pas vous annoncer qu’une grande oeuvre ni un grand auteur nous sont nés ! Tout ce que nous avons vu est fort misérable !

Chère Princesse, je vous écrirai bientôt. Je vous recommande le Rodenbach et je serai bien heureux de savoir ce que vous en pensez. Votre bien reconnaissant et bien sincèrement affectionné et dévoué ! Gabriel Fauré

Nous ne laisserons pas de paix aux Duez pour les décider à partir le 18 ! Savez-vous que c’est bientôt !

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