Etienne Wolff

Étienne Wolff ( † 1996)

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1979 à 1984

Membre du conseil d’administration 1978 – 1996

« Étienne Wolff est né le 12 février 1904 à Auxerre. Après des études secondaires à Rouen, puis au Lycée Louis-le-Grand à Paris, il fut attiré par la philosophie et s’inscrivit à la faculté des lettres de Paris où il obtint sa licence en 1921. La poursuite d’études de philosophie exigeant un certificat de grec ou de sciences, il prépara ce certificat à la faculté des sciences de Strasbourg où sa rencontre avec un professeur de zoologie, Édouard Chatton, bienveillant et passionné, déterminera sa vocation de biologiste. Licencié ès sciences (1925), puis agrégé de sciences naturelles (1928), il fut professeur au Lycée de Colmar en 1930. En 1931, Paul Ancel, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg, lui proposa un poste d’assistant. Cette offre détermina l’orientation de ses recherches car Ancel, professeur d’embryologie, lui conseilla d’étudier la production expérimentale de monstruosités, domaine alors très peu exploré. C’est ainsi qu’Étienne Wolff, en produisant des lésions très localisées chez des embryons de poulets à l’aide de minces faisceaux de rayons x, réussit à déterminer les conditions requises pour reproduire la plupart des monstruosités rencontrées dans la nature et en créa même de nouvelles. Ces recherches de tératologie fondamentale d’un grand intérêt théorique eurent aussi le mérite d’attirer l’attention sur la vulnérabilité de l’embryon aux agents externes.

Dès 1935, Étienne Wolff entreprit, en collaboration avec A. Ginglinger, l’étude de la différenciation sexuelle chez l’embryon. L’une de ses premières expériences eut un retentissement considérable. Déposant sur les annexes membranaires d’embryons de poulets de cinq jours une solution huileuse de folliculine (hormone sexuelle sécrétée chez l’adulte par l’ovaire et dont on pensait qu’elle était sans action chez l’embryon), il constata que, parmi tous les embryons traités, il n’y avait aucun mâle typique mais seulement des sujets de sexe féminin ou des sujets intermédiaires entre les deux sexes. L’hormone avait féminisé les glandes génitales des mâles potentiels présents en nombre approximativement égal à celui des femelles potentielles dans l’ensemble des embryons traités. Cette inversion spectaculaire du sexe n’est cependant pas définitive car les animaux adultes retournent au sexe génétiquement déterminé. L’étude ultérieure des effets des hormones mâles montra qu’elles induisent seulement la transformation des canaux génitaux sans avoir d’effet sur les gonades. Chez les oiseaux, en effet, des expériences de castration précoce par irradiation limitée de la région prégénitale de l’embryon le démontrèrent. Le sexe «neutre », c’est-à-dire qui se différencie en l’absence d’hormones sexuelles, est le sexe mâle. C’est la sécrétion précoce d’hormones femelles qui détermine la différenciation du sexe femelle. Dans le but de soustraire gonades et appareil de la reproduction aux multiples influences qui s’exercent sur eux chez l’animal entier, Étienne Wolff, en collaboration avec K. Haffen, mit au point une technique de culture dans laquelle les structures tridimensionnelles de fragments embryonnaires étaient maintenues. Il put ainsi préciser in vitro les conditions requises pour la différenciation des gonades. Cette méthode de culture, dite organotypique, lui permit en outre de résoudre de nombreux problèmes. Il rechercha, en particulier, si certains des caractères d’organes adultes sont sexuellement déterminés. Il démontra qu’il en est ainsi, chez les femelles d’oiseaux, pour les faibles dimensions de l’organe du chant, la syrinx. En effet, des syrinx prélevées sur de très jeunes femelles et explantées in vitroprésentent un développement aussi important que celui des syrinx de mâles. Grâce à ce type de culture, il put aussi étudier les interactions entre tissus provenant de différents feuillets embryonnaires et même d’espèces différentes. Il montra que si les organes d’animaux adultes ne peuvent être cultivés de cette manière, les tumeurs cancéreuses, en revanche, sont indéfiniment cultivables en présence de fragments d’organes embryonnaires. Étudiant, par ailleurs, les phénomènes de régénération chez les Planaires, il démontra l’existence de cellules de régénération totipotentes dont il décrivit les propriétés.

Étienne Wolff fut aussi un professeur très apprécié, notamment comme directeur de thèse de très nombreux élèves qu’il a formés. Sa carrière d’enseignant s’est déroulée à l’université de Strasbourg, puis au Collège de France où il fut élu en 1955 dans la chaire d’embryologie expérimentale qu’il occupa jusqu’en 1974. Au cours de cette période, il créa à Nogent-sur-Marne, grâce au C.N.R.S., l’Institut d’embryologie et de tératologie expérimentale dans la propriété, léguée au Collège de France par Arsène d’Arsonval (professeur de médecine au Collège de France de 1894 à 1930). Sous sa direction et avec l’aide d’une exceptionnelle efficacité de Mme Émilienne Wolff, cet institut mixte C.N.R.S./Collège de France a joué un rôle déterminant dans le développement de l’embryologie en France. Aujourd’hui devenu Institut d’embryologie cellulaire et moléculaire, et dirigé par l’une de ses élèves, Mme Nicole Le Douarin, elle-même professeur au Collège de France, il continue à contribuer avec éclat au rayonnement de l’embryologie française. Très apprécié par ses collègues autant pour la force de son caractère que pour ses qualités d’organisateur, Étienne Wolff fut élu administrateur du Collège de France en 1966 et le demeura jusqu’à sa retraite en 1974. Au cours de cette période difficile, la fermeté de ses convictions rendit d’éminents services à cette illustre maison.

Ce sont ses interventions répétées auprès des pouvoirs publics et ses nombreux articles qui furent à l’origine de l’affectation au Collège d’une partie du domaine de l’École polytechnique, rendu disponible par le transfert de l’École à Palaiseau. L’aménagement de cette extension, terminée en 1991, permet au Collège de mieux remplir sa mission dans le domaine des disciplines sociales et littéraires. Grâce à sa persévérance, la reconstruction de la station de la rue d’Ulm, qui abrite notamment le Laboratoire de Médecine expérimentale, fut entreprise.

Étienne Wolff était aussi un écrivain de talent à qui l’on doit non seulement des ouvrages scientifiques comme le Changement de sexe (1946), la Science des monstres (1948), et les Chemins de la vie (1963), mais aussi des ouvrages sur des sujets aussi différents que la critique de la haute administration (les Pancrates, 1975) et l’affection qu’il portait aux animaux (Dialogue avec mes animaux familiers, 1979). Son dernier ouvrage, Trois pattes pour un canard (19 9 0), témoigne de son souci de mettre ses recherches et leur signification à la portée de tous. Ce qui frappe dans les livres d’Étienne Wolff, disait Jean Rostand le recevant à l’Académie française, c’est la netteté, la fermeté, la franchise du style qui ne cède jamais aux tentations de l’ésotérisme et aux paresses du jargon. Ses deux premiers ouvrages, composés pendant une longue captivité au cours de la Seconde Guerre mondiale, témoignent d’une force de caractère et d’une détermination peu communes qu’il mit au service des prisonniers de l’Oflag XVII A, en organisant dans ce camp une faculté des sciences dont il fut le doyen. Étienne Wolff, en 1984, cessa, à sa demande, de présider la fondation Singer-Polignac, mais il continua, comme Président d’honneur, à participer fidèlement aux activités de la Fondation. Très peu de temps avant sa mort, survenue à Paris le 18 novembre 1996, il faisait encore bénéficier le conseil d’administration de la Fondation de sa compétence et de sa grande expérience. Membre de l’Académie de médecine, de l’Académie des sciences et de l’Académie française, Étienne Wolff était grand officier de la Légion d’honneur. »

Yves Laporte (†), membre de l’Institut, administrateur honoraire du Collège de France

Prince Louis de Polignac

Membre du conseil d’administration de la fondation de 1962 à 1996 (†)

Né en 1909, le Prince Louis de Polignac est le fils d’Henri prince de Polignac et de Diane de Polignac, cousine germaine du Prince Pierre de Monaco.
Très proche du Prince Rainier III et de la Princesse Grace, le Prince Louis de Polignac fut le parrain de S.A.S. le Prince Albert II. Président délégué de la Société des Bains de Mer, membre du Conseil d’administration de la Fondation Prince Pierre de Monaco, membre du conseil d’administration de la Fondation Singer-Polignac, il s’éteint en 1996. En 1997, la Fondation Prince Louis de Polignac est créée pour promouvoir les arts et les sciences.

Roger Heim

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1958 à 1976

Membre du conseil d’administration 1956 – 1979 †

« Le professeur Roger Heim nous a quittés le 17 septembre 1979. C’est avec beaucoup d’émotion que nous évoquons aujourd’hui sa haute figure de savant, d’érudit, d’administrateur. Roger Heim est né à Paris le 12 février 1900. Après des études secondaires au collège Chaptal, il se destinait à une carrière d’ingénieur. Il entra à l’École centrale des arts et manufactures en 1920, et fut reçu ingénieur en 1923. C’est à ce moment qu’une vocation irrésistible vint changer sa destinée. Il se tourna vers les sciences de la nature. Dès 1924, il était licencié ès sciences. En 1925, il devint l’assistant du professeur Louis Mangin au Muséum d’histoire naturelle où il prépara sa thèse de doctorat ès sciences, qu’il passa en 1931. Il est nommé sous-directeur du laboratoire de cryptogamie du Muséum en 1932, directeur de laboratoire à l’École des hautes études en 1940. Pendant la guerre de 1940-1945, Roger Heim s’engagea un des premiers dans la résistance active. Il fut arrêté en 1943 et déporté à Buchenwald puis à Mauthausen (Gusen) par les Allemands. Il connut pendant deux ans l’immense souffrance, la détresse insondable des déportés des camps de la mort.

Il publia des souvenirs de ce monde inhumain, insoutenable, où se commettaient quotidiennement des crimes inexpiables, perpétrés par des êtres revenus à l’état de bêtes sauvages. Dans la Sombre Route il insistait sur la responsabilité d’un peuple fanatisé ou terrorisé, qui n’eut pas un seul sursaut, un seul mouvement de pitié, d’humanité. Sans doute ces impressions d’une sensibilité à vif paraissent-elles dures aujourd’hui à l’égard d’un peuple qui a laissé commettre de telles abominations. Roger Heim ne faisait qu’exprimer la réprobation et l’horreur du monde civilisé, il mettait en garde nos contemporains, les survivants, les descendants du génocide, contre le retour de telles exactions. Roger Heim fut une victime, en même temps qu’un témoin des atrocités nazies. Il nous crie encore: « Pardonnez, si vous le pouvez, mais n’oubliez pas. »

Sauvé presque miraculeusement des camps de la mort grâce à sa résistance physique et morale, le professeur Roger Heim reprend, après la guerre, son activité scientifique. Elle sera de haute tenue ; des découvertes retentissantes ne tarderont pas à couronner son effort. Elles ont trait, pour la plupart, à la mycologie (anatomie, biologie, reproduction, classification et phylogénie des champignons, maladies des plantes). Sa connaissance approfondie de ces sujets l’oriente dans une direction qu’il n’abandonnera plus et où il ira de découverte en découverte: ce sont les champignons hallucinogènes. Il a étudié leurs caractères anatomiques, systématiques (ce sont principalement des agaricinées), leur structure chimique, leurs propriétés physiologiques. Il a étudié sur lui-même, avec la plus grande pénétration et un véritable courage, les effets psychiques et physiques de ces champignons. Il a montré ce qu’on pouvait en attendre en bien comme en mal, c’est-à-dire les effets nuisibles sur le système nerveux et le psychisme, mais aussi les effets bienfaisants (hypnotiques, antalgiques) qu’ils peuvent entraîner, s’ils sont administrés avec modération et précision.

Le professeur Heim, l’un des premiers, a donné l’alerte à la pollution, à l’épuisement du monde vivant, au massacre des animaux en voie de disparition, des animaux en général, à l’exploitation abusive des végétaux actuels ou fossiles. Il a publié sur ces sujets des livres de prémonition, qui étaient alors en avance sur leur temps, que l’actualité a largement rejoints et dépassés. La protection de la nature, l’environnement ont été son souci constant; il l’a exprimé dans de nombreux écrits, tels l’Angoisse de l’an 2000, dans de nombreux discours, rapports ou conférences et dans un film intitulé Nature morte. Ces œuvres, qui paraissaient pessimistes et quelque peu excessives au moment où elles ont paru, se sont révélées – malheureusement – l’exact reflet de la réalité actuelle. Un autre film, ayant pour sujet les champignons hallucinogènes, a été tourné par lui.

Notre président honoraire n’était pas seulement un homme de cabinet, il était l’homme des récoltes sur le terrain, et l’homme des grands voyages (Pacifique Sud, Indochine, Inde, Madagascar, Afrique noire). Il exerça de hautes fonctions et reçut de nombreux honneurs: directeur du Muséum d’histoire naturelle de 1951 à 1965, il fut membre de l’Académie des sciences depuis 1946, de l’Académie d’agriculture, de l’Académie des sciences coloniales et de l’Académie des sciences d’outre-mer; il fut président de ces Académies. Il était grand officier de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre (1939-1945), de la médaille de la Résistance, de la médaille des Déportés, et de nombreuses autres décorations et dignités françaises et étrangères.

Il défendait, en toutes circonstances, le maintien du français dans le langage scientifique; il faisait campagne pour la sauvegarde de notre langue; il prêchait l’exemple dans ses écrits et ses discours*. Ses allocutions aux soirées de la fondation Singer-Polignac étaient des modèles de style et de goût artistique. Le professeur Roger Heim a été président de notre Fondation après la mort d’Edmond Faral, de 1958 à 1976. C’est pendant cette période qu’il fit édifier et inaugura, à Tahiti, le musée Gauguin qui s’élève au milieu d’une éclatante végétation tropicale, cadre bien digne de célébrer la mémoire du grand peintre français, et qui attire chaque année des dizaines de milliers de visiteurs. »

Étienne Wolff, de l’Académie française

*Voir à ce sujet « La langue française et la science » dans la plaquette Cinq Propos sur la langue française, consacrée à des conférences prononcées par cinq auteurs différents, sous les auspices de la fondation Singer-Polignac.

Robert Courrier

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1976 à 1979

Membre du conseil d’administration 1953 – 1986 †

« Le 16 septembre 1989, fut inaugurée dans la petite ville lorraine de Saxon-Sion une stèle portant l’inscription: «À la mémoire de Robert Courrier, 1895-1986, médecin biologiste, professeur au Collège de France, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, enfant de la commune de Saxon-Sion.» Cette inscription donne un résumé très succinct de la vie et de l’œuvre d’un de nos grands biologistes. Étant donné la parcimonie de l’espace qui m’est assigné, je me bornerai à évoquer son œuvre scientifique. Je voudrais tout d’abord dire un mot de sa ville natale. Nous connaissons tous la commune de Saxon-Sion. Elle est attenante à la colline de Sion-Vaudémont qui la domine et que Maurice Barrès a célébrée sous le nom de « colline inspirée ». Plusieurs monuments attestent la renommée de ce site, en particulier une grande chapelle votive et un haut obélisque consacré spécialement à la mémoire de Maurice Barrès. La stèle dédiée à Robert Courrier est plus modeste et conforme à la nature discrète de notre confrère, qui fut toujours fier de ses origines lorraines.

Il était l’un des grands élèves du professeur Pol Bouin qui fut, avec Paul Ancel, au début de ce siècle, l’initiateur de l’endocrinologie sexuelle. Robert Courrier apporte une contribution de première grandeur à cette science toute nouvelle. En ce qui concerne le testicule, il contribua à démontrer que les caractères sexuels mâles, dits secondaires, qui apparaissent ou se développent à la puberté, sont régis par des petits amas cellulaires éparpillés entre les tubes testiculaires, l’interstitielle. Celle-ci sécrète l’hormone mâle, responsable de la maturité des spermatozoïdes et des caractères sexuels secondaires. En ce qui concerne l’ovaire, les découvertes de Robert Courrier furent non moins importantes. Il démontra qu’il y a dans l’ovaire deux glandes endocrines qui se succèdent et élaborent deux hormones distinctes:

  • 1- la folliculine, sécrétée, comme son nom l’indique, par le follicule ovarien dès la fécondation. Cette hormone, appelée aujourd’hui estrone, est responsable de la maturité sexuelle de l’ovule et des caractères extérieurs féminins ;
  • 2- l’hormone de la gestation, appelée progestérone, qui est sécrétée par le corps jaune et qui permet la nidation et le développement dans l’utérus maternel de l’œuf fécondé. L’une est l’hormone de la féminité, l’autre l’hormone de la maternité.

À ces travaux capitaux d’endocrinologie sexuelle, il convient d’ajouter une autre série de travaux concernant une autre hormone : la thyroxine, sécrétée par la thyroïde. Robert Courrier a été le premier, avec Frédéric Joliot et Alain Horeau, à expérimenter sur une substance radioactive l’isotope radioactif 1131.

L’hormone thyroïdienne étant riche en iode, ils réussirent à la marquer grâce à cette substance radioactive. Les résultats furent décisifs. Ils obtinrent en particulier la mise en sommeil de la synthèse de l’iode naturel. Ce résultat eut des conséquences considérables au point de vue physiologique et médical. Il résulte de cet exposé rapide que Robert Courrier a joué un rôle fondamental dans la biologie expérimentale des hormones. J’ajouterai qu’au cours de ma carrière, le professeur Robert Courrier m’a toujours soutenu avec amitié et efficacité. »

Étienne Wolff , de l’Académie française, de l’Académie des sciences et de l’Académie nationale de médecine, administrateur honoraire du Collège de France.

Edmond Faral

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1938 à 1958

Membre du conseil d’administration 1931 – 1958 †

« Edmond Faral avait le don, plus rare qu’on ne croit, de l’autorité. On se hasardait peu à le contredire. Le masque énergique, la voix brève, l’attitude tendue ajoutaient encore à une impression de rigueur que modifiait seul son commerce plus intime, que tempérait aussi le sentiment des nuances tel qu’y entraîne la formation universitaire. Là où il est passé, que ce soit au conseil supérieur de l’instruction publique, dont il était le vice-président, ou bien au Collège de France, où il se révéla un administrateur hors pair, il a laissé la marque de son action. Néanmoins, c’est l’érudit qui doit plutôt nous retenir: ses mérites de philosophe scrupuleux, bien informé, ne reculant pas d’ailleurs devant l’hypothèse hardie; ses mérites aussi d’historien des lettres, à l’occasion, d’historien tout court. Il a repris en main, rénové les études sur la littérature du Moyen Âge, montrant que toute une partie de notre littérature en vieux français avait subi l’influence de l’art poétique latin, de textes latins créés parallèlement à elle dans les écoles et les cénacles. Grâce à Edmond Faral, ces œuvres latines du XIIe au XIVe siècle, longtemps méconnues, sortaient de leur isolement, perdaient leur gratuité.

L’autre grand travail de notre confrère sur la Légende arthurienne procède, au fond, d’une pensée analogue. L’auteur n’admet pas que ce vaste cycle légendaire soit né du folklore et d’une tradition purement orale. Il y retrouve le génie inventif d’un narrateur qui avait puisé dans des matériaux savants, les uns de provenance celtique, les autres, plus nombreux, du fonds gréco-romain. Ainsi est remis en honneur le primat de la chose écrite, du savoir clérical: thèse séduisante, dont on pourrait sans peine transférer le bénéfice à d’autres domaines littéraires. On évoquera naturellement, à ce sujet, les Légendes épiques de Joseph Bédier, maître de Faral, ce livre duquel la Légende arthurienne forme un digne pendant. »

Louis Renou, membre de l’Institut

Maurice Paléologue

Membre du conseil d’administration 1928 – 1944 †

Né à Paris, le 13 janvier 1859.

Descendant de la lignée d’empereurs de Byzance et Constantinople, Maurice Paléologue entra au ministère des Affaires étrangères en 1880. Après avoir été secrétaire d’ambassade successivement à Tanger, à Pékin et à Rome, il fit un passage par le cabinet du ministre avant d’être nommé ministre plénipotentiaire en 1901 puis se vit confier entre 1907 et 1912 la légation de Sofia.

En janvier 1914, il fut nommé ambassadeur à Saint-Pétersbourg. À ce poste, il devait jouer un rôle de premier plan dans les négociations liées au premier conflit mondial. Remplacé après la chute du régime tsariste, il occupa encore, avant de se retirer des affaires publiques, les fonctions de secrétaire général du ministère des Affaires étrangères dans le cabinet Millerand.

Ce diplomate de haut rang, aux talents de négociateur reconnus, possédait un réel don d’écrivain. Collaborateur à la Revue des deux mondes, Maurice Paléologue est également l’auteur de romans et d’essais sur l’art et la littérature : La Russie des Tsars pendant la Grande Guerre, Alexandra Feodorovna, impératrice de Russie, Cavour, un grand réaliste, Vauvenargues, Dante, essai sur son caractère et son génie, Le Cilice, Entretiens avec l’impératrice Eugénie, L’Art chinois.

Maurice Paléologue fut élu à l’Académie française le 7 juin 1928.

Mort le 18 novembre 1944.

Joseph Bédier

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1932 à 1938

Membre du conseil d’administration 1928 – 1938 †

« D’ascendance bretonne, Joseph Bédier hérita de ses ancêtres des cheveux blonds, des yeux très bleus, et un sens de l’honneur extrêmement développé. Son trisaïeul, chirurgien du roi, débarqua un jour avec son régiment dans la lointaine petite île Bourbon; il s’y fixa. Peuplée de familles originaires, pour la plupart, de Bretagne, l’île se couvrit très vite de riches cultures; la canne à sucre y fut introduite par un Bédier.

C’est au cours d’un voyage de ses parents en France que Joseph Bédier naquit à Paris en 1864; mais il fut élevé à la Réunion et fréquenta le lycée de Saint-Denis. Il alla poursuivre ses études à Paris, entra à l’École normale supérieure dans la section des lettres et y retrouva son frère Édouard, inscrit à la section des sciences. Celui-ci voulut vivre dans leur île tant aimée; il mourut comme proviseur du lycée de Saint-Denis.

Joseph revint à Paris après un bref séjour à Bourbon ; il suivit les cours de Gaston Paris au Collège de France et resta son élève préféré.

Tout d’abord lecteur à l’université allemande de Halle, ensuite professeur à Fribourg en Suisse, Bédier est nommé maître de conférences à Caen à l’âge de vingt-six ans: sa thèse de doctorat sur les Fabliaux révèle une puissante originalité.

À vingt-neuf ans, il revient à l’école de la rue d’Ulm en qualité de maître de conférences. Il entreprend une tâche passionnante: la reconstitution du roman de Tristan et Iseult à l’aide de fragments divers traduits au XIIIe siècle en différentes langues. Bédier en fait un amalgame qui est une magnifique réussite: « C’est un poème français du milieu du XIIe siècle, mais composé à la fin du XIXe, en belle et simple prose » par un homme qui « aime modeler ses phrases, écouter leur rythme et leur musique ». L’ouvrage paraît en 1900; les éditions de ce chef-d’œuvre se succèdent encore aujourd’hui. Le Collège de France accueille Bédier en 1903 pour succéder à Gaston Paris dans la chaire de langue et littérature françaises du Moyen Âge. Faire des cours sur des sujets de son choix lui donne la précieuse liberté qui lui manquait à l’École normale. Il aborde le problème de l’origine des chansons de geste des XIe et XIIe siècles.

Il acquiert vite la conviction du rôle décisif des abbayes qui jalonnaient les routes des pèlerinages, dans la naissance de ces poèmes composés à la gloire de héros ou de saints locaux, morts depuis des siècles, mais dont les moines conservaient les reliques et connaissaient les merveilleuses aventures: « Les trouvères puisaient auprès des moines le thème des poèmes qu’ils composaient pour enchanter les pèlerins. »

En 1913, paraissent les Légendes épiques où Bédier démontre que ces épopées appartiennent bien à la France et qu’elles ne sont nullement animées par le souffle des forêts germaniques. «La Chanson de Roland, qui exalte la fidélité et l’honneur, est à nous. Nous vous remercions, Monsieur, d’avoir démontré ce que nous sentions », dira Louis Barthou en recevant Joseph Bédier à l’Académie française en 1920.

Choisi par ses pairs, Bédier administra le Collège de France à partir de 1929. Messager illustre de la France, il succéda à Raymond Poincaré à la présidence de l’Alliance française en 1934. Le gouvernement de la République l’éleva à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur en 1937.

Il mourut le 29 août 1938 au Grand-Serre, dans le Dauphiné, où il a été inhumé. Joseph Bédier présida à la naissance de la fondation Singer-Polignac. Une des premières manifestations scientifiques organisées sous les auspices de cette fondation fut un colloque international sur les hormones sexuelles qui se tint au Collège de France en juin 1937. Au nombre des participants, j’ai écouté avec émotion le grand lettré nous accueillir et nous rappeler très simplement l’étymologie du mot « hormone ». Il nous conduisit ensuite à l’hôtel de l’avenue Henri-Martin et nous présenta à la princesse qui sut favoriser si noblement, en France, le développement des arts, des lettres et des sciences. »

 

Robert Courrier, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences

 

 

Raymond Poincaré

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1928 à 1932

Membre du conseil d’administration 1928 – 1934†

« Il est tout à l’honneur du Conseil d’administration de la fondation Singer-Polignac que son premier président, dans l’ordre chronologique, ait été l’un des Français les plus considérables de l’époque, l’un des plus grands hommes d’État de la IIIe République.

Lorsqu’il fut appelé à ces fonctions, en 1928, Raymond Poincaré, âgé de soixante-huit ans, approchait du terme d’une carrière retentissante et bienfaisante, qui devait prendre fin quatre années plus tard. Ministre dès la trentaine, grand avocat, il avait connu tous les succès, y compris les honneurs académiques et même – consécration suprême à ses yeux! – ceux du bâtonnat de Paris.

Investi à trois reprises de la présidence du Conseil, il avait donné toute sa mesure, à la fois comme chef de formations d’union nationale, groupant tous les Français de bonne volonté, et comme inspirateur, en même temps que prestigieux artisan d’une politique française d’ordre intérieur, de sagesse financière, de fermeté prudente mais résolue en matière de relations internationales.

Président de la République durant la Première Guerre mondiale, il avait grandement contribué à instaurer l’« union sacrée » dont il fut l’authentique parrain et, par la suite, à entretenir dans le pays, même et surtout aux heures les plus sombres, la volonté de « tenir » et la foi en la victoire. En appelant au pouvoir, fin 1917, un Clemenceau qui ne le ménageait guère, il avait fait preuve d’une abnégation personnelle dont il fut amplement récompensé lorsque, après la victoire, à Strasbourg, le Tigre – pour un moment réconcilié – tomba dans ses bras.

Ce Lorrain de bonne souche bénéficiait d’une popularité véritable auprès du «Français moyen» qui, rendant hommage à son patriotisme intransigeant ainsi qu’à son civisme sans tache, aimait à retrouver en lui le bon sens traditionnel.

Sollicité par Maurice Paléologue, son ami de toujours, il avait accepté, malgré sa santé déjà chancelante, d’apporter à la Fondation naissante l’immense autorité de son nom.

Il apparaissait déjà tel que nous le représente l’Histoire: homme de devoir et de labeur, épris d’ordre et de légalité, méthodique au point de paraître méticuleux, s’acquittant des tâches qu’il avait assumées avec une admirable conscience, défendant avec la même ardeur – et la même efficacité – la prérogative de l’État et les principes démocratiques.

Il fut un grand serviteur de son pays et, en même temps, des «valeurs » intellectuelles et morales sur lesquelles repose la civilisation occidentale – valeurs dont la fondation Singer-Polignac, qui garde à son premier président un souvenir respectueux, a mission de s’inspirer et qu’elle s’attache à faire prévaloir. »

Maurice Reclus, membre de l’Institut

Hélène Carrère d’Encausse

secrétaire perpétuel de l’Académie française

Membre du Conseil d’administration de la Fondation de 2007 à 2023 †

Née à Paris dans une famille que l’esprit cosmopolite et la révolution russe ont de longue date dispersée à travers l’Europe. Compte parmi ses ancêtres de grands serviteurs de l’Empire, des contestataires du même Empire, le président de l’Académie des sciences sous Catherine II et trois régicides. Cette hérédité la prédisposait naturellement à l’étude de l’histoire et de la science politique qu’elle a enseignées à la Sorbonne avant de transférer sa chaire professorale – l’esprit nomade de la famille aidant – à l’Institut d’études politiques de Paris.

Professeur invité dans de nombreuses universités étrangères, en Amérique du Nord et au Japon surtout, elle est docteur honoris causa de l’université de Montréal et de l’université de Louvain. Président de Radio Sorbonne-Radio France de 1984 à 1987, membre de la Commission des sages pour la réforme du Code de la nationalité en 1986-1987. Durant l’année 1992, occupa le poste de conseiller auprès de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, participant ainsi à l’élaboration d’une politique d’assistance à la démocratisation des anciens États communistes. Élue au Parlement européen en juin 1994, elle est vice-président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense ; vice-président de la commission des Archives diplomatiques françaises ; elle a présidé la Commission des Sciences de l’homme au Centre national du livre de 1993 à 1996. Nommée en 1998 membre du Conseil national pour un nouveau développement des sciences humaines et sociales. En 2004, présidente du conseil scientifique de l’Observatoire statistique de l’immigration et de l’intégration.

Elle a reçu le prix Aujourd’hui pour L’Empire éclaté en 1978, le prix Louise Weiss en 1987; le prix Comenius en 1992 pour l’ensemble de son œuvre et le prix des Ambassadeurs en 1997, pour Nicolas II. Elle est membre associé de l’Académie royale de Belgique, membre étranger de l’Académie des Sciences de Russie et de l’Académie de Georgie.
Élue à l’Académie française, le 13 décembre 1990, au fauteuil de Jean Mistler (14e fauteuil).
Élue secrétaire perpétuel de l’Académie française le 21 octobre 1999.

© OLG/CLP - 2025