Etienne Wolff

Publié dans Membres historiques du conseil

Étienne Wolff ( † 1996)

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1979 à 1984

Membre du conseil d'administration 1978 - 1996

alt"Étienne Wolff est né le 12 février 1904 à Auxerre. Après des études secondaires à Rouen, puis au Lycée Louis-le-Grand à Paris, il fut attiré par la philosophie et s’inscrivit à la faculté des lettres de Paris où il obtint sa licence en 1921. La poursuite d’études de philosophie exigeant un certificat de grec ou de sciences, il prépara ce certificat à la faculté des sciences de Strasbourg où sa rencontre avec un professeur de zoologie, Édouard Chatton, bienveillant et passionné, déterminera sa vocation de biologiste. Licencié ès sciences (1925), puis agrégé de sciences naturelles (1928), il fut professeur au Lycée de Colmar en 1930. En 1931, Paul Ancel, doyen de la faculté de médecine de Strasbourg, lui proposa un poste d’assistant. Cette offre détermina l’orientation de ses recherches car Ancel, professeur d’embryologie, lui conseilla d’étudier la production expérimentale de monstruosités, domaine alors très peu exploré. C’est ainsi qu’Étienne Wolff, en produisant des lésions très localisées chez des embryons de poulets à l’aide de minces faisceaux de rayons x, réussit à déterminer les conditions requises pour reproduire la plupart des monstruosités rencontrées dans la nature et en créa même de nouvelles. Ces recherches de tératologie fondamentale d’un grand intérêt théorique eurent aussi le mérite d’attirer l’attention sur la vulnérabilité de l’embryon aux agents externes.

Dès 1935, Étienne Wolff entreprit, en collaboration avec A. Ginglinger, l’étude de la différenciation sexuelle chez l’embryon. L’une de ses premières expériences eut un retentissement considérable. Déposant sur les annexes membranaires d’embryons de poulets de cinq jours une solution huileuse de folliculine (hormone sexuelle sécrétée chez l’adulte par l’ovaire et dont on pensait qu’elle était sans action chez l’embryon), il constata que, parmi tous les embryons traités, il n’y avait aucun mâle typique mais seulement des sujets de sexe féminin ou des sujets intermédiaires entre les deux sexes. L’hormone avait féminisé les glandes génitales des mâles potentiels présents en nombre approximativement égal à celui des femelles potentielles dans l’ensemble des embryons traités. Cette inversion spectaculaire du sexe n’est cependant pas définitive car les animaux adultes retournent au sexe génétiquement déterminé. L’étude ultérieure des effets des hormones mâles montra qu’elles induisent seulement la transformation des canaux génitaux sans avoir d’effet sur les gonades. Chez les oiseaux, en effet, des expériences de castration précoce par irradiation limitée de la région prégénitale de l’embryon le démontrèrent. Le sexe «neutre », c’est-à-dire qui se différencie en l’absence d’hormones sexuelles, est le sexe mâle. C’est la sécrétion précoce d’hormones femelles qui détermine la différenciation du sexe femelle. Dans le but de soustraire gonades et appareil de la reproduction aux multiples influences qui s’exercent sur eux chez l’animal entier, Étienne Wolff, en collaboration avec K. Haffen, mit au point une technique de culture dans laquelle les structures tridimensionnelles de fragments embryonnaires étaient maintenues. Il put ainsi préciser in vitro les conditions requises pour la différenciation des gonades. Cette méthode de culture, dite organotypique, lui permit en outre de résoudre de nombreux problèmes. Il rechercha, en particulier, si certains des caractères d’organes adultes sont sexuellement déterminés. Il démontra qu’il en est ainsi, chez les femelles d’oiseaux, pour les faibles dimensions de l’organe du chant, la syrinx. En effet, des syrinx prélevées sur de très jeunes femelles et explantées in vitroprésentent un développement aussi important que celui des syrinx de mâles. Grâce à ce type de culture, il put aussi étudier les interactions entre tissus provenant de différents feuillets embryonnaires et même d’espèces différentes. Il montra que si les organes d’animaux adultes ne peuvent être cultivés de cette manière, les tumeurs cancéreuses, en revanche, sont indéfiniment cultivables en présence de fragments d’organes embryonnaires. Étudiant, par ailleurs, les phénomènes de régénération chez les Planaires, il démontra l’existence de cellules de régénération totipotentes dont il décrivit les propriétés.

Étienne Wolff fut aussi un professeur très apprécié, notamment comme directeur de thèse de très nombreux élèves qu’il a formés. Sa carrière d’enseignant s’est déroulée à l’université de Strasbourg, puis au Collège de France où il fut élu en 1955 dans la chaire d’embryologie expérimentale qu’il occupa jusqu’en 1974. Au cours de cette période, il créa à Nogent-sur-Marne, grâce au C.N.R.S., l’Institut d’embryologie et de tératologie expérimentale dans la propriété, léguée au Collège de France par Arsène d’Arsonval (professeur de médecine au Collège de France de 1894 à 1930). Sous sa direction et avec l’aide d’une exceptionnelle efficacité de Mme Émilienne Wolff, cet institut mixte C.N.R.S./Collège de France a joué un rôle déterminant dans le développement de l’embryologie en France. Aujourd’hui devenu Institut d’embryologie cellulaire et moléculaire, et dirigé par l’une de ses élèves, Mme Nicole Le Douarin, elle-même professeur au Collège de France, il continue à contribuer avec éclat au rayonnement de l’embryologie française. Très apprécié par ses collègues autant pour la force de son caractère que pour ses qualités d’organisateur, Étienne Wolff fut élu administrateur du Collège de France en 1966 et le demeura jusqu’à sa retraite en 1974. Au cours de cette période difficile, la fermeté de ses convictions rendit d’éminents services à cette illustre maison.

Ce sont ses interventions répétées auprès des pouvoirs publics et ses nombreux articles qui furent à l’origine de l’affectation au Collège d’une partie du domaine de l’École polytechnique, rendu disponible par le transfert de l’École à Palaiseau. L’aménagement de cette extension, terminée en 1991, permet au Collège de mieux remplir sa mission dans le domaine des disciplines sociales et littéraires. Grâce à sa persévérance, la reconstruction de la station de la rue d’Ulm, qui abrite notamment le Laboratoire de Médecine expérimentale, fut entreprise.

Étienne Wolff était aussi un écrivain de talent à qui l'on doit non seulement des ouvrages scientifiques comme le Changement de sexe (1946), la Science des monstres (1948), et les Chemins de la vie (1963), mais aussi des ouvrages sur des sujets aussi différents que la critique de la haute administration (les Pancrates, 1975) et l'affection qu'il portait aux animaux (Dialogue avec mes animaux familiers, 1979). Son dernier ouvrage, Trois pattes pour un canard (19 9 0), témoigne de son souci de mettre ses recherches et leur signification à la portée de tous. Ce qui frappe dans les livres d'Étienne Wolff, disait Jean Rostand le recevant à l’Académie française, c'est la netteté, la fermeté, la franchise du style qui ne cède jamais aux tentations de l'ésotérisme et aux paresses du jargon. Ses deux premiers ouvrages, composés pendant une longue captivité au cours de la Seconde Guerre mondiale, témoignent d'une force de caractère et d'une détermination peu communes qu'il mit au service des prisonniers de l'Oflag XVII A, en organisant dans ce camp une faculté des sciences dont il fut le doyen. Étienne Wolff, en 1984, cessa, à sa demande, de présider la fondation Singer-Polignac, mais il continua, comme Président d'honneur, à participer fidèlement aux activités de la Fondation. Très peu de temps avant sa mort, survenue à Paris le 18 novembre 1996, il faisait encore bénéficier le conseil d'administration de la Fondation de sa compétence et de sa grande expérience. Membre de l’Académie de médecine, de l'Académie des sciences et de l’Académie française, Étienne Wolff était grand officier de la Légion d'honneur."

Yves Laporte (†), membre de l’Institut, administrateur honoraire du Collège de France