Lettre de Jean-Louis Forain à la Princesse de Polignac n°127

Publié dans Lettre

16 août 94

Il faut, chère Princesse, que vous me pardonniez le retard que j’ai mis à répondre à votre aimable lettre qui m’a suivi de Plombières à Bâle, et que je n’ai reçue qu’en rentrant à Paris, où nous sommes depuis quelques jours. Tout en m’abrutissant, les eaux m’ont fait le plus grand bien, et ma santé est en ce moment excellente. Je continue à l’améliorer en faisant de la bicyclette dans le Bois désert. A vous cette histoire :

Il y a un mois, la veille de mon départ, j’étais allé rendre une visite à l’Ange de la rue Christophe Colomb. Là, je lui fis tous mes compliments sur la façon dont son éditeur lançait son livre, à propos d’un article paru quelques jours avant dans Le Figaro sous la signature de Davenay, je crois. Alors, elle me dit : « C’est une infamie! Cet article est de Barrès, il est désolé, il m’a dit qu’on avait du faire cela pour ne pas froisser Philippe Gille, et qu’il avait reçu à ce sujet un mot de Calmette lui expliquant la chose, et je suis navrée parce que j’avais annoncé à tous mes amis que j’allais avoir un article de Barrès, alors on m’a dit : « Nous avons lu un article dans le Figaro, mais il n’est pas de Barrès... » Tout cela est stupide, ennuyeux. Vous, tâchez de me savoir... 

Entre M. Barrès. Baise-main. On s‘asseoit.- Silence. (Elle) -  Je racontais à M. Forain la chose inique dont vous êtes victime ; il est de mon avis : vous ne devez pas, pour vous même, laisser passer çà... 

(Lui) - Vous avez reçu Madame, la lettre que Calmette m’avait adressée ? 

 - « Oui. »

(Moi à lui, et de fort bonne foi) - C’est tout de même extraordinaire qu’on se soit permis cette impertinence vis à vis de vous... Pareille chose m’arriverait pour un dessin, je vous assure que je me fâcherais.

- M. Forain a raison. Vous ne devez pas laisser passer çà. 

Là-dessus, je prends congé.

Deux heures après, j’étais au Figaro.  Vous savez,  dis-je à Calmette,  qu’Ossit est furieuse, qu’elle comptait sur du Barrès signé Barrès et qu’on lui a donné du Davenay, que du Davenay signé Barrès aurait peut-être fait son affaire, mais que du Barrès signé Davenay, pour elle, cà n’existe pas.  Alors Calmette eut un bon sourire. Je comprends ! fis-je. Et lui de m’expliquer que c’était M. Barrès lui-même qui avait tenu à signer son article Davenay pour des raisons tout à fait intimes et conjugales ; qu’alors mon Dieu, c’est bien simple, il avait été convenu que lui, Calmette, - dans un petit mot cordial -, mettrait en avant la susceptibilité de Philippe Gille. Et l’Ange a cette lettre dans ses pièces à conviction.

Voilà, je pense, un bon bol de bon bouillon de culture du Moi, que notre pauvre Baronne a pris à la cuillère.

Naturellement, Calmette m’ayant prié de n’en rien dire à la baronne, elle ignore tout. Lisez cette histoire au Prince pendant une averse, et croyez-moi, chère Princesse, bien amicalement votre tout dévoué

Forain

Ma femme vous envoie ainsi qu’au Prince ses meilleurs souvenirs. Il est bien convenu, n’est-ce-pas qu’Ossit ne doit rien savoir.

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