Venezia dalle calli ai palazzi

Publié dans Saison 2010-2011

Présentation

Une nuit à Venise

 

Le concert auquel vous allez assister, ce soir, est davantage qu'un moment de musique : un véritable spectacle, avec sa scénographie et son éclairage raffiné.

Cette volonté de « mettre en scène » le concert classique reste curieusement assez rare. Depuis bien longtemps, on joue sur les lumières au music hall ; mais nos programmes symphoniques se contentent, le plus souvent, d'une salle a demi éclairée. On y aperçoit des musiciens en train de travailler, on y voit aussi son voisin. On écoute attentivement malgré les distractions, mais on ne se trouve pas tout à fait dans la magie du spectacle.

Rappelons à ce propos quelques exceptions comme celle de Richter ou d'Evgeni Sokolov qui ont toujours souhaité jouer dans des salles obscures pour donner au récital la magie du cinéma. D'autres musiciens se sont intéressés aux conditions du concert, tel Debussy qui y consacra plusieurs chroniques - mais ce qui l'intéressait était le concert dans la nature, lui qui prônait un « art libre, jaillissant, un art de plein air, un art à la mesure des éléments, du vent, du ciel, de la mer ».

Aujourd'hui, pourtant, certains metteurs en scène commencent à s'emparer du récital classique : au Châtelet, par exemple, où Bob Wilson a mis en scène Le Voyage d'Hiver de Schubert. Et il faudrait citer encore ces artistes qui, faute de pouvoir maîtriser entièrement les conditions du concert, se sont emparés de ses imperfections : je pense à certains compositeurs d'avant garde comme John Cage ou Maurizio Kagel qui n'hésitaient pas à retourner l'attention vers la salle, pour intégrer à leurs oeuvres les chutes d'objets et les quintes de toux - on ajouterait aujourd'hui les sonneries de téléphones portables !

A la Fondation Singer Polignac, voici longtemps que nous donnons nos concerts dans l'obscurité de ce petit théâtre. Mais ce soir nous irons plus loin avec le travail de Benjamin Lazar et ses fameux chandeliers qui vont nous aider à plonger dans la Venise du début XVIIe siècle – puisque c'est de cette période que date l'essentiel de notre programme.

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Faut-il rappeler que la place de Venise dans l'histoire musicale est immense ? Nous en sommes également les témoins dans cette fondation, puisque la princesse de Polignac possédait, sur le Grand Canal, un palais de la Renaissance où elle recevait ses amis musiciens.

C'était à la fin du XIXe siècle, et plusieurs œuvres importantes en sont sorties : les mélodies de Venise de Gabriel Fauré, ou encore le recueil Venezia de Reynaldo Hahn – qui donnait parfois des concerts sur une gondole, à la croisée des ponts, en s'accompagnant lui même sur un petit piano.

Cette Venise musicale de la Belle Epoque est toutefois très différente de la ville que nous allons découvrir ce soir. C'est une Venise mélancolique, marquée par le chants des gondoliers dont les musiciens romantiques, comme Mendelssohn et Chopin, ont tiré de nombreuses pièces pour piano. Elle vit dans les souvenirs d'un monde disparu, d'un passé plus brillant : cette Venise éclatante du XVIIe siècle illustrée par la peinture du Guardi ou de Canaletto.

Venise fut-elle toujours une histoire de nostalgie ? Aujourd'hui, à l'époque du tourisme de masse, nous regrettons les vrais gondoliers de 1900. En 1900, on regrettait la cité rutilante du XVIIe siècle. Au XVIIe siècle déjà, on regrettait la puissante Venise de la Renaissance, quand cette ville régnait sur toute une partie de l'Europe. L'histoire de cette ville foisonne de bonheur et de regrets. Mais, incontestablement, elle a connu son point culminant musical avec cette première école baroque, en un temps où la musique s'inventait principalement ici.

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L’histoire de la musique savante occidentale se divise schématiquement en deux grandes parties.

Le premier versant, qu'on peut appeler la « polyphonie » va du XIIIe à la fin du XVIe siècle. Il se caractérise par son art principalement vocal, fondé sur le contrepoint et le jeu des voix entremêlées. Le second versant, qui commence au début du XVIIe siècle, recouvre la quasi-totalité du répertoire courant jusqu'à nos jours. Il se caractérise par son harmonie d'un genre nouveau, fondée sur la mélodie accompagnée, qui va s'imposer jusqu'au XXe siècle, avec ses grandes formes instrumentales, symphoniques, lyriques.

L'age d'or vénitien se trouve exactement à la limite de ces deux périodes, et le musicien de génie qui va incarner ce passage d'un temps à l'autre est bien sûr Monteverdi, figure centrale de notre histoire musicale. C'est de lui, d'ailleurs, que nous viennent les expressions italiennes de « Prima prattica » et « seconda prattica » qui désignent les deux deux grands temps de l'histoire musicale : deux époques et deux styles qui se rejoignent dans son oeuvre.

Cette double appartenance explique sans doute, pour une part, la force extraordinaire de sa musique. On y goûte pleinement l'imagination, l'invention d'un homme nourri par la culture des siècles passés, et qui, en même temps, déchiffre un territoire entièrement nouveau.

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Monteverdi n'est pas vénitien de naissance, mais c'est à Venise que se déroule toute la dernière partie de sa vie comme maître de chapelle à Saint-Marc. C'est aussi dans cette ville qui établira définitivement sa gloire qu'il sera le plus heureux. Et c'est pour Venise qu'il compose les deux pièces de maturité que nous allons entendre ce soir.

« Dormo ancora » est extrait de son premier opéra vénitien, Il Ritorno d’Ulisse in Patria – créé en 1640. La première résurrection moderne de cette oeuvre est due au compositeur Vincent d'Indy à Paris en 1925. N'oublions pas, d'ailleurs, que d'Indy connaissait de longue date la princesse de Polignac et que leur cercle a contribué activement à la redécouverte de la musique ancienne, bien avant l'émergence du mouvement « baroqueux ».

L'autre page de Monteverdi, le Lamento della Ninfa, est extraite du huitième livre de madrigaux : avant derniers de ces neuf recueils dans lesquels le compositeur présente toutes les facettes de son art. Cette page émouvante décrit une nymphe abandonnée par son amant. Elle est caractéristique du goût de Monteverdi pour l'expression des sentiments humains, par opposition au caractère plus religieux de la musique de la renaissance.

Les autres compositeurs du programme sont nettement plus oubliés, à l'image Biaggio Marini – violoniste et compositeur vénitien, mais aussi grand voyageur. De sa production, seules les oeuvres instrumentales, d'une qualité exceptionnelle, sont parvenues jusqu'à nous : notamment ces sonates pour un ou deux instruments et basse continue qui se rapprochent par leur mélange de maîtrise et d'invention de l'art de Monteverdi

Plus complexe est le cas de Francesco Manelli – derrière lequel se cache probablement un autre compositeur connu à son époque sous le nom de « Il Fasolo ». Il a fait une carrière sous chacun des deux noms, mais les opéras de Manelli ont été perdus. En revanche, il nous reste du Fasolo de superbes pièces vocales redécouvertes par Vincent Dumestre et Le Poème harmonique, comme celles que nous allons entendre ce soir.

Dernier compositeur du programme, Benedetto Ferrari est à la fois poète et compositeur. Il a écrit des opéras, des cantates, et il est aussi connu pour avoir composé un air repris par Monteverdi dans Le Couronnement de Poppée. Mais le répertoire de cette époque comporte également nombre de pièces anonymes – écrites parfois de main de maître – comme la vilanelle que nous entendrons ce soir

Il ne nous reste plus qu'à quitter la lumière des canaux pour entrer dans la pénombre d'un Palais vénitien, en compagnie du Poème Harmonique. La musique nous dira le reste...

Benoît Duteurtre

Programme

Oeuvres

Claudio Monteverdi (1567-1643)

  • Dormo Ancora (Extrait D'Il Ritorno d'Ulisse in Patria)

Biaggio Marini (1594-1663)

  • Sonata Terza

Claudio Monterverdi

  • Lamento della ninfa

Francesco Manelli (1595-1667)

  • Bergamasca : La Barchetta passaggiera

Benedetto Ferrari (c. 1603-1681)

  • Chi non sà come amor
  • Son ruinato, appassionato

Anonimo

  • Villanella ch'all'acqua vai

Francesco Manelli

  • Canzonetta : Sguardo lusinghiero
  • Jacarà : Aria alla napolitana
  • Ciaccona : Aceso mio core
Interprètes

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Le Poème Harmonique - Vincent Dumestre

  • Claire Lefilliâtre soprano
  • Serge Goubioud ténor
  • Jan Van Elsacker ténor
  • Arnaud Marzorati basse
  • Johannes Frisch violon
  • Lucas Peres lirone
  • Françoise Enock violone
  • Jean-Luc Tamby colascione et guitare baroque
  • Joël Grare percussions
  • Vincent Dumestre théorbe, guitare baroque et direction
  • Benjamin Lazar travail scénique
  • Patrick Naillet régisseur général
  • Eleonora Pacetti conseillère linguistique