Petite harmonie et grandes Sérénades | 18 décembre 2007

Publié dans Saison 2007-2008

Petite harmonie et grandes sérénades

Les trois oeuvres que nous allons découvrir ce soir ont été composées dans une période courte d'une quinzaine d'années, entre 1873 et 1888. Nous voici donc en cette fin de XIXe siècle, caractérisée selon les historiens de la musique par l'apogée et la fin du romantisme, mais aussi par la naissance de ce qu'on appellera bientôt les écoles nationales.

L'école française tout d'abord avec Charles Gounod, compositeur au destin paradoxal. Aujourd'hui, en effet, on le regarde comme un des hommes qui ont marqué le renouveau de l'opéra dans notre pays. Par son amour du chant, son goût des harmonies recherchées et des couleurs d'orchestre, il préfigure Bizet, Saint-Saëns ou Massenet... Or, de son temps, Gounod était plutôt considéré comme un furieux émule du romantisme allemand. Certains le qualifiaient même - et c'était dans leur bouche une insulte - de "wagnériste".

La vérité se situe entre les deux ; car si Gounod incarne le renouveau de la musique en France, c'est notamment en s'inspirant de la grande école allemande, contrairement aux habitudes d'un public entièrement vers l'opéra comique ou l'opéra italien. Dans son sillage, les compositeurs vont s'intéresser davantage à la "musique pure", à la musique de chambre, à l'orchestre, en assimilant toute une science héritée de Bach, Mozart et Beethoven.

Déjà, dans sa jeunesse, Gounod a composé deux symphonies et des quatuors à cordes. Puis à la fin de sa vie, après après les triomphes de Faust, Roméo et Juliette ou Mireille. il revient à la musique intrumentale avec un Concerto pour piano pédalier et orchestre, ou encore cette Petite symphonie pour instruments à vents, composée en 1888.

L'oeuvre de facture très classique a peut-être été influencée par Mozart auquel Gounod portait un culte particulier (il a même écrit un livre sur Don Giovanni). On peut y voir en tout cas certaines parentés avec la Grand partita de Mozart.

Elle est dédiée à Paul Taffanel, connu comme l'un des fondateurs de l'école moderne de flûte, et surnommé le "Paganini de la flûte". Taffanel dirigeait la société de chambre pour instruments a vents qui a créé l'oeuvre de Gounod, et qui témoigne, dès cet époque, de l'intérêt des musiciens français pour ce genre de formation.

Le deuxième compositeur du programme est Johannes Brahms dont la musique, au temps de Gounod, n'était pas tellement prisée en France. Il est symptomatique qu'en 1959, Françoise Sagan ait encore pu intituler un roman Aimez vous Brahms ? tant le goût pour ce compositeur a été lent à s'imposer dans notre pays - où même Saint Saëns ou Debussy ont écrit sur l'ennui que leur inspiraient ses oeuvres.

Il faut dire qu'à l'époque où grandissent les nouvelles écoles nationales, en France, en Russie, en Espagne, en Europe centrale ou nordique ; à l'époque aussi où Wagner bouleverse toutes les conceptions de l'opéra et de l'orchestre, Brahms fait figure de conservateur, de romantique attardé, ce qui masque la force et l'originalité de son oeuvre.

Il faut constater aussi que Brahms, en bon maître de musique allemand, tourné d'abord vers le piano, le lied et la musique de chambre, n'a pas donné d'emblée de ces grandes oeuvres qui passent plus facilement les frontières - à l'exception de son premier concerto pour piano. Non seulement il n'a pas composé d'opéra, mais il attendra quarante ans passés pour aborder la musique d'orchestre.

Les Variations sur un thème de Haydn, sont en fait la première grande composition symphonique de Brahms. D'où peut-être le choix de cette forme de "variations", assez peu courante dans la musique symphonique. Le thème, suivi par huit petits mouvements et un finale, lui permet de s'exercer à tous les aspects de l'écriture orchestrale.

Il faut toutefois préciser que ce thème, en fait, n'est pas de Haydn, mais que Haydn lui même l'a emprunté à un vieux choral allemand. L'oeuvre de Brahms elle même a donné lieu par la suite à de nombreuses transcriptions, à commencer par celle de Brahms lui même pour deux pianos. Celle de Hugues Bowman que nous entendrons ce soir, et qui permet aux instrumentistes de déployer toutes leurs richesses de traits et de sonorités.

Dvorak, le troisième compositeur de ce programme, est comme Gounod, un musicien emblématique de ces écoles nationales qui émergent à la fin du XIXe siècle ; mais il se rattache plus encore à Brahms, par son inspiration musicale, et par tout ce qu'il lui doit dans sa carrière de compositeur.

Brahms, en effet, frappé par le talent du jeune musicien tchèque, avait écrit en 1877 à son éditeur de musique pour lui recommander ses oeuvres. Il précisait dans sa lettre : "Décidément, c'est un homme de talent. En plus, il est pauvre ; s'il vous plaît, prenez ce détail en considération."

Dvorak, effectivement, avait débuté comme apprenti boucher, avant de se consacrer pleinement à la musique - et le soutien du grand Brahms, à 36 ans, devait changer le cours de sa vie et nouer une relation d'amitié qui n'allait jamais se démentir.

Un an plus tard, en 1877, il composait cette Sérénade pour instruments à vent, violoncelle et contrebasse, créée à Prague sous sa direction. Le terme de sérénade évoque ces suites pour instruments à vent très courantes au XVIIIe siècle, notamment chez Mozart. Classique par sa forme en quatre mouvements classiques, c'est néanmoins une oeuvre d'inspiration populaire où l'on retrouve nombre de rythmes de danse, de valse, de polka, jusqu'à la sorte de fête villageoise du finale.

Ce concert devrait souligner enfin la vitalité jamais démentie de l'école de vents français, depuis Paul Taffanel. Celle ci a continué à faire école dans le monde entier, de la musique de chambre au grand orchestre, avec les hautboistes Pierre Pierlot, Maurice Bourgue ou François Leleux, les flûtistes Marcel Moyse, Jean-Pierre Rampal, Emmanuel Pahud, les clarinettistes Louis Cahuzac, Michel Arrignon, Michel Portal, Paul Meyer, Pascal Morraguès, les cornistes Georges Barboteu et Andé Cazalet, les bassonistes Fernand Oubradous ou Maurice Allard, pour n'en citer que quelques uns. Les jeunes instrumentistes de l'ensemble Initium sont leurs brillants héritiers, dans une grande formation qu'on n'a pas si souvent l'occasion d'entendre.

 

Benoit Duteurtre


Programme

Oeuvres

Charles GOUNOD

  • Petite Symphonie

Johannes BRAHMS

  • Variations sur un thème de Haydn op.56a

Antonin DVORAK

  • Sérénade op.44
Interprètes
  • Guillaume DESHAYES   Hautbois

  • Edouard SABO                 Flûte

  • Armel DESCOTT             Hautbois

  • François LEMOINE       Clarinette
  • Nicolas FERRé              Clarinette

  • Julien DESPLANQUES Cor

  • Stéphane BRIDOUX      Cor

  • Robin PAILLETTE          Cor

  • Batiste ARCAIX               Basson

  • Frank SIBOLD                 Basson

  • Victor JULIEN-LAFERRIERE Violoncelle

  • Yann DUBOST                Contrebasse