D'un même souffle

Publié dans Saison 2015-2016

Avant-propos

L'accordéon, qui figure ce soir au cœur de notre programme, est pour le moins assez rare dans les concerts de musique de chambre. J'oserais même ajouter que cet instrument populaire par excellence a longtemps traîné une assez mauvaise réputation, en regard de ce qui serait la grande culture, et notamment notre culture musicale classique.

Je me rappelle encore, lorsque j'étais enfant, au temps de l'ORTF, les sourires un brin condescendants de mes parents devant les accordéonistes qui jouaient dans les programmes de variété du dimanche après midi. Quelque chose nous semblait un peu ridicule dans leur costume cravate, leur sourire béat, et leur répertoire de polkas et de paso-dobles... Et en ces années où le rock et la pop balayaient toutes les traditions, on accolait facilement à ce genre de spectacle le qualificatif méprisant de "franchouillard".

Quelque chose pourtant me séduisait dans la courbe mélodique et le rythme de certaines valses ; mais il m'a fallu quelques expériences avant de mieux comprendre cette fascination et ce rejet.

D'abord, sans doute, la lecture de Bourdieu et de La Distinction m'a permis de mieux comprendre comment les goûts sont tributaires de chaque classe sociale ; si bien que le regard un peu dédaigneux qu'on jetait sur l'accordéon, vu de la bourgeoisie, pouvait se transformer dans d'autres milieux en admiration sincère pour un art authentique, avec ses codes particuliers.

Mais, surtout, j'ai découvert plus tard que cet accordéon du dimanche après midi, qu'on voyait à la télévision, n'était que la face la moins intéressante d'une vraie tradition qui continuait à se nicher ailleurs, plus discrètement, avec ses grands artistes et ses trésors musicaux.

Je pense en particulier à tout ce « genre musette « qui a fleuri à Paris entre les deux guerres, puis jusqu'aux années 1960, et qui a été une magnifique école musicale au croisement de plusieurs traditions : les accordéoniste auvergnats, les italiens immigrés en France, et les musiciens manouches qui ont apporté à cette musique de bal un rythme plus proche du jazz. Cette tradition incarnée par des musiciens comme Gus Viseur, Tony Muréna, Jo Privat connaît d'ailleurs aujourd'hui un regain de faveur chez beaucoup de jeunes passionnés. Elle est également demeurée dans le monde entier comme la signature de Paris, au point que dans de nombreux films américains, ou autres, une scène parisienne est presque toujours accompagnée d'une petite valse musette.

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Dans cette découverte du répertoire de l'accordéon, où la France occupe une place privilégiée, il m'est également apparu bien vite que cet instrument, répandu dans le monde entier, a inspiré des écoles très riches dans de nombreux autres pays. On pourrait ainsi mentionner l'importance de l'accordéon en Louisiane, et plus largement aux États-Unis où beaucoup de jazzmen pratiquent l'accordéon. Et il faut signaler également la présence de cet instrument en Amérique du Sud – pas seulement en Argentine où le bandonéon est l'instrument roi du tango, mais aussi au Brésil où existe une riche tradition accordéonistique.

On peut mentionner aussi la présence très importante de l'accordéon en Europe de l'Est, notamment en Russie et en Roumanie où c'est un instrument populaire extrêmement répandu ; à cette différence près que l’instrument utilisé dans ces pays est le plus souvent un « accordéon piano » (où la main droite joue sur un clavier semblable à celui du piano), tandis que l'accordéon français ou italien est plus souvent un accordéon à boutons, ce qui induit des doigtés complètement différents, mais aussi des possibilités de virtuosité particulières.

Aujourd'hui, d’ailleurs, sur les trottoirs parisiens, vous pouvez remarquer ces nombreux musiciens roms qui reprennent pour les touristes des rengaines populaires comme La Vie en rose ou Mon Amant de saint Jean, mais sur des accordéons-piano, alors que ces œuvres étaient jouées traditionnellement sur des accordéons à boutons comme celui qu'on va entendre ce soir.

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Frédéric Guérouet connaît, d'ailleurs, les anciennes traditions de l'accordéon, même s'il représente une nouvelle génération d'accordéonistes passés par les conservatoires, les études musicales sérieuses et la volonté de renouveler le répertoire de cet instrument.

Tout jeune il a travaillé avec maître parisien de l'accordéon, Médard Fererro, grand connaisseur du répertoire populaire mais aussi grand virtuose et professeur de plusieurs générations de musiciens. Frédéric Guérouet est aussi par alliance le neveu de Joss Baselli, un des plus fins accordéonistes français de l'après guerre qui fut le musicien de Piaf ou de Patachou parmi beaucoup d'autres. Il a également travaillé avec Joe Rossi et s'est fait remarquer comme virtuose en emportant divers concours d'accordéon.

Mais Guérouet a eu aussi l'occasion de découvrir très tôt des accordéoniste soviétiques, ce qui l'a incité à aller étudier de l'autre côté du rideau de fer, à Kiev, où l'accordéon était déjà considéré comme un instrument classique au conservatoire. Il a ainsi abordé tout ce répertoire qu'on travaille dans les écoles de musiques, avec notamment les transcriptions d’œuvres pour piano de Tchaïkovski ou Rachmaninov ; sans oublier tout le répertoire de l'harmonium, très en vogue chez les compositeurs de la fin du XIXe siècle. L'harmonium, en effet, est conçu selon le même principe que l'accordéon : à savoir une soufflerie qui fait vibrer une anche libre, par opposition aux anches battantes qu'on trouve dans les becs des clarinettes ou des saxophones. Pour cette raison, les formations orchestrales remplacent volontiers l'harmonium par un accordéon, plus maniable et musicalement plus souple.

Frédéric Guérouet, musicien complet, a également étudié le violoncelle et la composition. Et après son retour en France, il a entrepris de développer tout un répertoire de concert fait pour une part de transcriptions mais aussi de pièces originales commandées à des compositeurs contemporains.

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Il faut dire en effet que l'accordéon a commencé à intéresser les compositeurs modernes, dès le début du XXe siècle où il est employé dans certaines œuvres, pour donner une couleur populaire : par exemple dans Wozzeck d'Alban Berg ou chez Janáček. Certains musiciens français aussi on voulu lui rendre hommage à cet instrument populaire, comme Jean Wiéner ou Jean Françaix dans leurs concertos pour accordéon.

Mais le répertoire contemporain s'est surtout développé à partir des années cinquante, quand des marques comme Hohner ont commencé à proposer des instruments avec deux claviers identiques, laissant plus de liberté aux musiciens. L’accordéon est ainsi devenu un instrument très prisé en Europe du nord avec des compositeurs comme le suédois Torbjorn Lundquist, le danois Per Norgard, ou plus près de nous le finlandais Magnus Lindberg ; mais aussi en Russie depuis Tcherepnine et Prokofiev jusqu'à la très grande compositrice contemporaine Sofia Gubaidulina. En France également, beaucoup de compositeurs, parfois associés à l'avant garde, apprécient les sonorités et les possibilités de cet instrument au souffle modulable et aux possibilités d'accords inimaginables sur un piano. C'est ainsi qu'on retrouve l'accordéon dans nombre de compositions d'Alain Abott, Tristan Murail, Gerard Grisey, ou Philippe Hersant qui est avec nous ce soir

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J'ajouterai pour conclure quelques brèves précisions sur les pièces de notre programme – avec d’abord en ouverture Jeux d'anches de Magnus Lindberg, grande figure de la musique contemporaine finlandaise, également très lié à la France. Son titre fait évidemment référence aux anches libres ou battantes qui produisent les sons de l'accordéon et cette pièce a été écrite en 1990 à Paris.

Nous entendrons également deux pièces de Philippe Hersant, dont la Strophe est une transcription pour violoncelle accordéon d'une pièce conçue dans le cadre d'un hommage à Dutilleux. Quant à la seconde, Tarentelle, c'est une composition originale pour accordéon écrite pour l'accordéoniste Vincent Lhermet. Elle fait d'ailleurs moins référence aux élégantes tarentelles de salon, comme celle de Rossini, qu'aux tarentelles de la musique populaire italienne : une danse fiévreuse, proche de l'exorcisme, utilisée pour soigner la piqûre de la tarentule.

Nous entendrons ensuite Silenzio,de Sofia Goubaidoulina, élève de Chostakovitch qui est peut-être, avec Schnittke, la plus grande figure de la musique contemporaine en Russie. Cette œuvre pour accordéon, violon et violoncelle, écrite en 1991, est la troisième composition de Gubaïdulina pour accordéon après De profundis et Et exspecto.

Nous reviendrons enfin à la musique romantique avec Dvořák et trois de ses nombreuses pièces de piano adaptées à l'accordéon : la première Valse opus 54, la septième Humoresque et la quatrième Silhouette. Puis notre concert s'achèvera par les bagatelles pour deux violons, violoncelle et un harmonium remplacé par l'accordéon. Une façon de renouer avec la couleur mélodieuse et populaire de cet instrument.

Benoît Duteurtre

Programme

Magnus Lindberg (1958-)

Jeux d’anches (1989-1990)

Philippe Hersant (1948-)

Strophe pour violoncelle et accordéon (2011)

Alexandre Tcherepnine (1899-1977)

Partita pour accordéon (1961)

Sofia Gubaïdulina (1931-)

Silenzio pour accordéon, violon et violoncelle (1991)

Anton Dvořák (1841-1904)

Valse n°1 opus 54

Humoresque n°7 opus 101

Silhouette n°4 opus 8

Bagatelles pour deux violons, violoncelle et accordéon opus 47

Interprètes

Biographies

F GuerouetFrédéric Guérouet accordéon

Après ses premières leçons d’accordéon avec son père, Frédéric Guérouet devient l’élève de Médard Ferrero. À onze ans, il enregistre ses premières émissions de télévision, se produit salle Pleyel à Paris et remporte son premier prix international, à Vichy. Il part suivre des cours de perfectionnement en Ukraine auprès de Vladimir Biesfamilnov (accordéon), Maria Tchaikovskaya (violoncelle) et Gleg Taranov (orchestration, composition). Aux titres prestigieux (prix internationaux de Klingenthal, Washington, Eindhoven, prix musical de la Sacem, plaquette d’honneur de la ville de Paris) succèdent des concerts en France et à l’étranger : Vienne, théâtre du Tivoli de Copenhague au Danemark, Belgique, Chine, Italie, Espagne, Allemagne mais aussi à l’Opéra de Paris pour Un re in Ascolto de Luciano Berio, au théâtre du Châtelet pour Wozzeck sous la direction de Daniel Barenboïm et à la Cité de la musique dans le concerto pour accordéon et orchestre de Jean Wiener. Frédéric Guérouet accompagnait Barbara Hendricks lors de l’hommage rendu à François Mitterrand place de la Bastille.

Frédéric Guérouet a joué en compagnie de prestigieux musiciens tels que Christophe Bianco, Renaud Capuçon, Julien Chauvin, Stéphanie Degan, Augustin Dumay, Christophe Giovaninnetti, Baptiste Lopez, Jean-Marc Apap, Vladimir Mendelssohn, Fabrice Bihan, Henri Demarquette, Florian Lauridon, Jérôme Pernoo, Bertrand Chamayou, Jonas Vitaud, Alain Raës, Philippe Berrod, Michel Lethiec, Olivier Martinez, Bernard Wystraete, ainsi qu’avec l’ensemble 2E2M, l’ensemble Ars Nova, l’ensemble InterContemporain, le quatuor d’accordéons de Paris et le quatuor Ébène. Il a en outre participé à des créations de Sylvain Beuf, Jean-Yves Bosseur, Franz Constant, Thierry Escaich, Pascal Estève, Egberto Gismonti, Philippe Hersant, Vic Legley, Michel Lysight, Alain Margoni, Mickey Nicolas, Alberto Posadas, François Rossé, Patrice Sciortino, Jean-Jacques Werner.


DavidPDavid Petrlik violon

David débute le violon à six ans avec Andrej Porcelan à Saint-Pétersbourg et poursuit sa formation au conservatoire de Clermont-Ferrand dans la classe de Hélène Friberg-Chenot. Il est admis à quatorze ans à l’unanimité au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de violon de Boris Garlitsky et d’Igor Volochine, et dans celle de musique de chambre d’Itamar Golan, Claire Désert, François Salque et Marc Coppey. En 2015, il obtient son Master avec félicitations et poursuit sa formation dans le cycle d’excellence «Konzertexamen» à l’université des Arts de Essen. La même année, il est invité à l’International Music Academy (Suisse) où il côtoie notamment Pamela Franck, Nobuko Imaï, Sadao Harada et Seiji Ozawa, son fondateur. Parallèlement à ses études, David Petrlik remporte le premier prix des concours internationaux Kocian (Répuplique Tchèque) et Flame (Paris). Il est lauréat du concours Jasha Heifetz (Lituanie), Ginette Neveu (France) et Rodolfo Lipizer (Italie) où il obtient le prix spécial pour la pièce virtuose. David est récipiendaire de la bourse Huguet-Bourgeois de la fondation de France. Il vient récemment d’être nommé artiste «Génération Spedidam». David se produit en tant que concertiste dans les plus prestigieuses salles de concerts et festivals et joue en musique de chambre avec des musiciens tels Jean-Frédéric Neuburger, Jérôme Ducros, Marc Coppey, François Salque, Claire Désert, Eric le Sage, Boris Garlitsky et Emmanuel Strosser. David fait partie de l'ensemble Messiaen en résidence à la Fondation Singer-Polignac.


Perceval Gillesx600Perceval Gilles violon

Né dans une famille de musiciens, Perceval Gilles commence ses études musicales à l’âge de six ans au conservatoire de Montpellier où il obtient ses diplômes de violon et de musique de chambre en 2003. Il est admis à seize ans au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe d’Olivier Charlier et Joanna Matkowska. Il y obtient en mai 2008 son diplôme de formation supérieure avec la mention très bien ainsi que le prix Françoise Doreau, récompensant son interprétation de la Sequenza pour violon de Luciano Berio.

Désireux d’acquérir une formation musicale aussi large et complète que possible, il étudie l’écriture musicale et la direction d’orchestre, ainsi que la musique de chambre auprès d’Alain Meunier, David Walter, Itamar Golan, Marc Coppey et Vladimir Mendelssohn.

En 2007, il fonde le trio Atanassov avec Sarah Sultan au violoncelle et Pierre-Kaloyann Atanassov au piano. Depuis, le trio a été récompensé par de nombreux prix dont les plus significatifs sont sans doute le 1er prix du concours international de musique de chambre Schumann à Francfort, un Diapason d’or pour le disque Dvořák-Smetana, un 3e prix au concours international de musique de chambre d’Osaka ainsi qu’au concours international Joseph Haydn de Vienne.

Perceval Gilles se produit régulièrement dans des salles ou des festivals réputés tels le Wigmore Hall de Londres, le Konzerthaus de Vienne, les Folles Journées, la salle Cortot, la Cité de la Musique, l’Alte Oper de Francfort, le Schloss Esterhazy d'Eisenstadt, la philharmonie de Sofia.

Perceval Gilles joue un violon fabriqué en 1875 par Georges Cunault. L'acquisition de cet instrument a été rendue possible grâce à la fondation Meyer.


anthony Kondo photo Jean Claude Captx600Anthony Kondo violoncelle

Anthony Kondo est né le 22 mars 1985 à Clermont-Ferrand. Il commence le violoncelle à l'âge de 5 ans avec son père Takashi Kondo. Il suivra par la suite l'enseignement de Patrick Gabard au CRR de Lyon puis de Jean-Marie Gamard au CRR de Ruiel-Malmaison avant d'entrer au CNSM de Lyon dans la classe de Anne Gastinel en 2005 et d'obtenir son master cinq ans plus tard.

Il participe à de nombreuses master classes avec des musiciens tels que Janos Starker, Alfred Brendel, Valentin Erben ou encore Walter Levin. Il y développe une curiosité et un gout prononcé pour la musique de chambre et décide de créer avec ses collègues le quatuor Hermès.

C'est avec ses partenaires qu'il découvrira les grandes scènes internationales tels que le Carnegie Hall, le Musikverein, l'auditorium du Louvre ou la Laeiszhalle de Hambourg. L'exploration du répertoire de musique de chambre l'amènera à partager la scène avec le violoncelliste Yo-Yo Ma, l'altiste Miguel da Silva, le quatuor Ebène ou encore le pianiste Nicholas Angelich.

Anthony Kondo joue un David Tecchler de 1718.

Le quatuor Hermès est en résidence à la Fondation Singer-Polignac depuis 2013.