Daisy Fellowes

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°8

    La Treille muscate

     

    Saint-Tropez,

     

    Var

    Très chère Winnie,

    Votre lettre m'a touchée infiniment. On devrait tout cacher, sauf l'amour, ( et encore !) aux êtres qu'on aime. Et ne leur montrer qu'un édifice de chair solide, d'âme cristalline, de sourires et d'éternité. Pourtant, sans mentir, je puis vous dire que je vais mieux. Sans doute ne me faut-il que du repos. Mais ceci est une médication extravagante.

    Hier une aimable surprise : Daisy Fellowes pousse ma grille et entre, venue à pied, légère, pareille à une jeune fille ! Vous pensez bien que nous l'avons reconduite à son parfait yacht, confortable merveille qui recélait, entre autres trésors, deux jeunes filles Fellowes inconnues de moi. La plus noire est superbe. Peut-être aurons-nous la bonne fortune de passer deux jours sur le "Sister Ann".

    Très chère Winnie, j'espère votre arrivée, j'espère votre séjour en Provence. Les deux me sont bien nécessaires, car j'ai pris au cours de longues années deux habitudes qui ne sont contradictoires qu'à première vue: celle de me passer de vous et celle de compter sur vous ! Je vous embrasse et je ne cesse de penser que vous serez tout à fait, cette année, victorieuse de tout et de vous-même. Maurice Goudeket est respectueusement à vos pieds.

    Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°93

    (sans date)

    Très chère Winnie, c'est encore moi, car je vais de mieux en mieux, grâce au vent d'ouest. Maintenant, il faut que vous décidiez du jour où nous célèbrerons la truffe ensemble ! A cause de la négligence où mon mal a laissé le rudimentaire "studio", je ne déménagerai que vendredi prochain. Dans le pauvre Claridge en loques, des équipes d'ouvriers qui prétendent édifier en même temps une brasserie et un ascenseur, sévissent jour et nuit, et j'hésite à vous demander cette preuve d'affection : causer ensemble au rythme des marteaux. Pourtant j'ai grande envie et besoin de vous voir : si nous mangeons ensemble la truffe chez Mrs. Fellowes, ou chez vous, je dois savoir le jour au moins quatre jours à l'avance, pour que les truffes viennent à point de Cahors ! Voulez-vous laisser tomber, sur ces complications, un mot définitif ?

    Nous mangerons, léger et savoureux, le menu suivant :

    L'omelette au lard
    Les truffes
    Un joyeux fromage
    Et quelque fruit
    Peu de vin mais bon.

    Je me charge des truffes, (prière de me dire le nombre des convives), et du fromage, naturellement. Si cela vous plaît mieux, des oeufs en cocotte à la crème au lieu d'omelette. Il faut aborder la truffe avec une bouche fraîche, qui n'a rien goûté d'épicé.

    Les truffes, je les apporte toutes brossées, et j'arrive, ici ou là, à temps pour les faire cuire, la cuisson ne demandant pas plus d'une demie-heure, quarante minutes si le vin est très froid.

    Je me réjouis d'avance et vous embrasse et vous chéris. Votre Colette.

    Rien ne s'oppose, si vous le préfériez, à ce qu'un déjeuner remplace le dîner. Mais n'ayez pas peur du dîner, la truffe pure est très légère.