Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°92

Publié dans Lettre

(sans date)

 

9, rue de Beaujolais

 

Louvre 68-56

Chère Winnie, j'ai une angine et 38,5. Je ne vous verrai donc pas aujourd'hui à Neuilly. Mais si je pouvais vous voir je vous confierais l'embarras et l'espoir où je suis. Mais j'ai plus de courage en écrivant, surtout en profitant de la fièvre.

Voici. Edmond de la Gandara, Lina Cavalieri et moi nous voudrions acheter cette maison que j'habite. Elle coûte 1 200 000 francs. Ce sont deux très braves types, qui me laisseraient habiter le magnifique et soleilleux premier étage. Encore faut-il que je puisse l'acheter. Il me manque une partie de la somme, car je ne pourrais réaliser que cent cinquante mille francs (c'est, hélas la moitié !) je suis extrêmement honnête garçon, je gagne en ce moment, tous les ans, pas mal d'argent, et je pourrais le rendre par annuités, et même vite, et nous avons une option de 15 jours à dater du 1er avril. Lina Cavalieri prend deux étages, le 2ème et le 3ème. Je n'aurais pas cru que j'oserais vous traiter autrement que mon amie la plus chère, c'est-à-dire que j'étais fière de ne vous rien demander. Excusez-moi, et gardez-moi toute votre affection. Cela s'est fait si vite que je perds, vous voyez, ma retenue et mon sang-froid. Il n'y a rien de pareil à cet appartement de trois pièces, qui sent le parquet de chêne et le soleil ! Chère Winnie, je suis tendrement à vous.

Colette

Je puis encore vous proposer ceci : que vous achetez l'étage, et que je vous paie (c'est M. Hériard, le propriétaire actuel, qui me donne les chiffres) dix-huit mille francs de loyer. Il dit que c'est équitable ?

Pardon pour les ratures et surcharges !

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