Colette

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°11

    33 Champs-Elysées

    Elysées 00-34 (décembre 1936 ? non daté)

    Ma très chère Winnie,

    je me disais bien que votre silence...un anthrax au doigt, mais c'est affreusement douloureux. Pourquoi un anthrax ? Prenez les plus grandes précautions aussi longtemps qu'il le faudra, je vous en prie ! Si vous restiez là-bas, j'irais vous voir, car je veux essayer (grippe, bronchite, le tout traînant depuis une quinzaine) de partir le 15, de prendre une chambre d'hôtel au soleil, à Nice, et d'y passer huit jours comme un veau. Car je suis fatiguée, et je me fais l'effet d'être votre propre grand-mère.

    Je me méfie de votre terrible impatience et des imprudences que vous êtes capable de faire en faveur du piano et de l'orgue. J'espère que ces funestes instruments n'ont pas encore pénétré dans la Principauté ! Je vous surveille en esprit. Cette nurse que vous voyez de votre fenêtre, c'est moi. Ce superbe flic à moustaches, c'est moi aussi. Et l'avenant sommelier qui frappe par erreur à votre porte, juste au moment où vous alliez vous endormir, pour emporter le plateau à thé, c'est également moi. Je vous embrasse, ma très chère Winnie, avec un coeur plein de récrimination et de tendre amitié, et de souhaits de guérison magique

    Votre Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°114

    Vers 1932 (non daté)

     

    Claridge, Champs-Elysées

    Me voilà, me voilà ! très chère Winnie, que c'est agréable d'être eng... par vous ! C'est le seul masochisme que je me connaisse. Attrapez-moi encore ! Il faisait un froid indicible à Valence, ciel vert et glacé, mistral qui balayait tout à 75 à l'heure.

    Voulez-vous venir me blâmer au Claridge ? Venez ! Choisissez entre:  jeudi 2, vendredi 3. Et laissez-moi seulement le temps, en me le disant, de faire faire la galette salée et le vin à la cannelle ! Je vous raconterai en peu de mots mes campagnes. Venez avec tous mes produits : je bifferai sur vous ce qui sera inutile. J'espère que le charmant couple Patacharles (sic) sera libre,- je leur écris. Amenez qui vous plaira, on s'asseoira dans la baignoire, comme on fait dans toute orgie digne de ce nom. Croyez, très chère Winnie, que je vous aime de tout mon coeur,

    Votre Colette

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°115

    Claridge, Champs-Elysées.

    Pourquoi vous souciez-vous de l'avis d'âme qui vive ? Soyez à la fois la raison même, le caprice et une certaine espèce d'humour imprévisible - comme le Tout-Puissant, quoi !

    Si samedi ne vous plaît pas, il y a mercredi ? Car mardi, je parle à la radio avec Frédéric Lefèvre. Je vous embrasse, très chère Winnie, et je suis du fond du coeur, votre

    Colette

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°12

    (Date de sa réception à l'Académie de Belgique ?)

    Très chère Winnie, si quelque chose veut me rendre plus légère la séance de réception, ce sera de faire ce voyage près de vous, sinon avec vous. Mais je pense souvent depuis que je suis académicienne, comme pensait la Princesse de Piémont avant son mariage ; elle se jetait parfois sur les genoux de la reine-mère et s'écriait, songeant à la cérémonie de mariage : "Si j'allais avoir une colique !"

    Depuis votre lettre, je veux chaque jour vous répondre, mais je suis un peu noyée en ce moment. Cinq générales en huit jours, dont une à l'Odéon, et parfaitement semblable à une boîte de dragées de chez Seugnot - vous savez, ces images où il y a toujours trop de mauve comme quand Detaille peignait, - et l'autre au Français où il n'y a pas de couleur du tout.

    C'est pour moi une chose étrange que d'occuper ce fauteuil d'Anna de Noailles. Je ne m'y fais pas facilement. D'abord parce que j'oublie à chaque instant qu'elle est morte. Sa mort m'étonne beaucoup plus que ne ferait sa rencontre par exemple, en haut de votre escalier, à l'entrée du salon où elle s'arrêtait, je crois, pour ne pas laisser voir sa fatigue. Puisque je devrai parler d'elle, c'est sur vous que je compte, chère Winnie, pour me dire d'elle des choses que je ne sais pas.

    Il fait très beau sur "ma" terrasse. Mon Dieu, j'oubliais ! Le "journal" me délègue sur le "Normandie" avec l'agréable obligation de faire le premier voyage . Trajet - six jours de mer, ports retour - Ne viendrez-vous pas ? Ce sera dans la seconde quinzaine de mai. Sacha Guitry jouera tous les soirs sur le bateau. Que ne dirai-je pas pour vous séduire ? Je vous embrasse de tout mon coeur. Si vous êtes encore avec vos aimables neveux d'Arcachon, j'ose vous demander de les remercier et de les assurer de toute ma sympathie. Je suis toujours votre Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°153

    Très chère Winnie, j'étais inquiète. Je croyais que vous m'oubliiez. Un charmant télégramme me rassure. Mais vous êtes dans un pays où il fait bien mauvais temps !

    C'est peu de dire que je me languis de vous. On ne ment pas sur un tel papier, - on n'oserait pas. Il est fait pour l'affirmation de grands sentiments absolus, indéformables et éternels. Il me convient donc tout à fait, ma très chère Winnie, quand c'est à vous que j'écris. Je vous embrasse, et vous suis toujours constamment attachée. Si vous le voulez bien, dites à Marie-Blanche et à Jean de Polignac que je suis de bon coeur leur vieille amie. Votre Colette

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°8

    La Treille muscate

     

    Saint-Tropez,

     

    Var

    Très chère Winnie,

    Votre lettre m'a touchée infiniment. On devrait tout cacher, sauf l'amour, ( et encore !) aux êtres qu'on aime. Et ne leur montrer qu'un édifice de chair solide, d'âme cristalline, de sourires et d'éternité. Pourtant, sans mentir, je puis vous dire que je vais mieux. Sans doute ne me faut-il que du repos. Mais ceci est une médication extravagante.

    Hier une aimable surprise : Daisy Fellowes pousse ma grille et entre, venue à pied, légère, pareille à une jeune fille ! Vous pensez bien que nous l'avons reconduite à son parfait yacht, confortable merveille qui recélait, entre autres trésors, deux jeunes filles Fellowes inconnues de moi. La plus noire est superbe. Peut-être aurons-nous la bonne fortune de passer deux jours sur le "Sister Ann".

    Très chère Winnie, j'espère votre arrivée, j'espère votre séjour en Provence. Les deux me sont bien nécessaires, car j'ai pris au cours de longues années deux habitudes qui ne sont contradictoires qu'à première vue: celle de me passer de vous et celle de compter sur vous ! Je vous embrasse et je ne cesse de penser que vous serez tout à fait, cette année, victorieuse de tout et de vous-même. Maurice Goudeket est respectueusement à vos pieds.

    Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°9

    A samedi

    Chère et encore plus chère Winnie, je reçois le gros panier printanier et je vous remercie mille fois. Prenons toutes les décisions que commande la situation ! Madame de Noailles m'a téléphoné d'une manière ravissante. La semaine prochaine, êtes-vous un peu libre ? Je vous embrasse et vous aime . Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°91

    69, boulevard Suchet

    Auteuil 41-38 (sans date)

    Que pensez-vous de moi, mon cher réconfort ? Et pensez-vous quelque chose de moi ? Je ne suis pas sûre que vous soyez à Venise. Mais une chose est certaine : il faudra beaucoup d'heures pour que je vous raconte ma vie, et la tournée, et le comique désolant des Casinos, et la chaleur, et le ruisseau à écrevisses dans lequel j'ai dû me précipiter, le derrière en premier, pour éviter une insolation grave, sur une route blanche du Lot, par 40 degrés de chaleur. Et tant et tant d'histoires qui veulent, pour être écoutées et contées, un peu de bois, un divan et un verre de vin chaud !

    Tout m'arrive, pourtant je ne cherche rien. Le Maurice d'Anna, si j'ose écrire, est un chic garçon qui se bat, dans un complet silence, contre ses em...nuis personnels. Pour une fois, me voilà en bonne compagnie, je vous le dis parce que vous êtes bien capable de vous en inquiéter.

    La petite voiture est sans reproche ! Elle m'a menée à Deauville et à Dieppe (représentations) comme un zèbre. Le roman ? il avance.  Je ne m'occupe que de lui, je ne fais pas trois francs de journalisme. Aussi je viens de traverser une de ces petites crises financières... Elle est passée, chantons, chantons, sablons le gorgonzola à pleins verres, et que le veau froid pétille au fond des coupes ! Mais il ne faudrait tout de même pas vous imaginer que je vais vous laisser passer l'hiver à Venise ! Je trouve que je vous ai déjà laissé beaucoup de liberté depuis juillet. Allons-nous en à la Scala de Milan, qui vient d'adopter l'Enfant que me fit Ravel ! Voulez-vous ?

    Et puis je vais avoir besoin de vous pour Hélène Picard, qui ne va pas assez mieux. Voilà : je ne lui trouve pas d'éditeur pour son prochain volume de vers qui est beau, et s'intitule "Pour un mauvais garçon". Alors nous voulons, Carco, moi, Léo Marchand, Maurice Goudeket et Germain Patat, peut-être un ou deux autres, nous voulons faire imprimer son volume à nos frais, çà coûte, brochage compris, (dit Ferencsi) une douzaine de mille pour faire un tirage honorable, et si je vous l'écris, c'est que je sais que vous serez fâchée si nous le faisons sans vous. Donc, donnez-nous, s'il vous plaît, ma très chère Winnie, une petite part. Et demain soir, je dîne chez Louis Louis-Dreyfus, je vais le taper pour Hélène,- çà sera dur, mais il ne connaît pas, - pas encore ! - ma vénalité.

    Je m'ennuie de vous, prenez-en votre parti. C'est long, plusieurs mois sans vous voir pour quelqu'un qui vous a, depuis peu, retrouvée.

    Du 6 au 16 octobre, je vais à Bruxelles pour jouer, parbleu, Chéri. Ce n'est pas votre chemin pour revenir ? Je vous embrasse.

    Anna de Noailles a employé tout septembre à taper sur le ventre de Painlevé, qui passe pour très amoureux d'elle. Je vous embrasse. Il fait juste le temps immobile, faiblement doré, traversé de guêpes et de fil de la Vierge, juste le temps qui désole les gens de Paris. Je vous embrasse. Et je suis votre Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°92

    (sans date)

     

    9, rue de Beaujolais

     

    Louvre 68-56

    Chère Winnie, j'ai une angine et 38,5. Je ne vous verrai donc pas aujourd'hui à Neuilly. Mais si je pouvais vous voir je vous confierais l'embarras et l'espoir où je suis. Mais j'ai plus de courage en écrivant, surtout en profitant de la fièvre.

    Voici. Edmond de la Gandara, Lina Cavalieri et moi nous voudrions acheter cette maison que j'habite. Elle coûte 1 200 000 francs. Ce sont deux très braves types, qui me laisseraient habiter le magnifique et soleilleux premier étage. Encore faut-il que je puisse l'acheter. Il me manque une partie de la somme, car je ne pourrais réaliser que cent cinquante mille francs (c'est, hélas la moitié !) je suis extrêmement honnête garçon, je gagne en ce moment, tous les ans, pas mal d'argent, et je pourrais le rendre par annuités, et même vite, et nous avons une option de 15 jours à dater du 1er avril. Lina Cavalieri prend deux étages, le 2ème et le 3ème. Je n'aurais pas cru que j'oserais vous traiter autrement que mon amie la plus chère, c'est-à-dire que j'étais fière de ne vous rien demander. Excusez-moi, et gardez-moi toute votre affection. Cela s'est fait si vite que je perds, vous voyez, ma retenue et mon sang-froid. Il n'y a rien de pareil à cet appartement de trois pièces, qui sent le parquet de chêne et le soleil ! Chère Winnie, je suis tendrement à vous.

    Colette

    Je puis encore vous proposer ceci : que vous achetez l'étage, et que je vous paie (c'est M. Hériard, le propriétaire actuel, qui me donne les chiffres) dix-huit mille francs de loyer. Il dit que c'est équitable ?

    Pardon pour les ratures et surcharges !

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°93

    (sans date)

    Très chère Winnie, c'est encore moi, car je vais de mieux en mieux, grâce au vent d'ouest. Maintenant, il faut que vous décidiez du jour où nous célèbrerons la truffe ensemble ! A cause de la négligence où mon mal a laissé le rudimentaire "studio", je ne déménagerai que vendredi prochain. Dans le pauvre Claridge en loques, des équipes d'ouvriers qui prétendent édifier en même temps une brasserie et un ascenseur, sévissent jour et nuit, et j'hésite à vous demander cette preuve d'affection : causer ensemble au rythme des marteaux. Pourtant j'ai grande envie et besoin de vous voir : si nous mangeons ensemble la truffe chez Mrs. Fellowes, ou chez vous, je dois savoir le jour au moins quatre jours à l'avance, pour que les truffes viennent à point de Cahors ! Voulez-vous laisser tomber, sur ces complications, un mot définitif ?

    Nous mangerons, léger et savoureux, le menu suivant :

    L'omelette au lard
    Les truffes
    Un joyeux fromage
    Et quelque fruit
    Peu de vin mais bon.

    Je me charge des truffes, (prière de me dire le nombre des convives), et du fromage, naturellement. Si cela vous plaît mieux, des oeufs en cocotte à la crème au lieu d'omelette. Il faut aborder la truffe avec une bouche fraîche, qui n'a rien goûté d'épicé.

    Les truffes, je les apporte toutes brossées, et j'arrive, ici ou là, à temps pour les faire cuire, la cuisson ne demandant pas plus d'une demie-heure, quarante minutes si le vin est très froid.

    Je me réjouis d'avance et vous embrasse et vous chéris. Votre Colette.

    Rien ne s'oppose, si vous le préfériez, à ce qu'un déjeuner remplace le dîner. Mais n'ayez pas peur du dîner, la truffe pure est très légère.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°94

    Winnie chère, croyez-moi, Beauvallon n'est pas possible ! J'ai à Seawood Lodge (à 500 mètres de chez moi, villa isolée, propriétaire charmant, table excellente, c'est tout nouveau, jardins, fleurs, bord de mer très élevé) une chambre qui ne peut pas ne pas vous plaire ! Je reviens, je vais conduire Maurice Goudeket à un train inéluctable de 6h à St Raphaël, le povre ! Mais ne restez pas à Beauvallon, vous prendriez tout le pays en grippe ! A tout à l'heure, dînons ensemble, ou chez moi (frugalité) ou à Seawood (bon dîner et vin un peu là !) Naturellement, votre dépêche m'a été remise ce matin à 8 heures. Je vous dirai qui j'ai fait déménager pour vous, à Seawood. Votre Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°95

    (sans date)

    Très chère Winnie,

    J'étais juste allée à l'appartement nouveau, quand vous êtes venue ! Si j'avais été ici, vous auriez, en prenant la peine de monter, vu le plus navrant spectacle. Ce lieu est devenu, même extérieurement, inhabitable. Outre les travaux de jour et de nuit, la "Ville" depuis ce matin, fait dépiquer l'avenue. Vous connaissez ce bruit des fraiseuses mordant l’asphalte ? Un bruit de dentiste grossi vingt mille fois.

    Mais oui, le 16, avec joie et appétit ! Ayez la bonne grâce de me dire un peu avant le nombre des convives. Avez-vous été sans moi aux Arts ménagers ?

    Je commence à croire que le petit appartement sera plaisant - grâce au divan ! Sur le tard, je consens à des facilités étranges : on m’a donné («on», c’est lady Westmacott, cloîtrée au Vendôme Hôtel avec une toute petite perruche en liberté) une table qui roule, pour le thé, - traduisez vin chaud. Ne dois-je pas rougir de mon emménagement coopératif ? Je vous écris appuyée sur une hypothèse, sur l’aile d’une chimère, sur une synecdoque ; j’avais peu de meubles et on me les enlève.

    Avant le 16, vous viendrez bien jeter un oeil critique sur ma «tranche» de building ? L’adresse la plus pratique est je crois « Building Marignan, 29 Champs-Elysées » et le téléph : Elysées 00 34. Si on m’avait dit que j’habiterais un «building !...

    Je n’en finis pas de vous écrire, c’est pour me consoler de ma situation. Je vous embrasse, très chère Winnie, et je suis votre

    Colette.