Les Filles du Rhin

Posted in Saison 2014-2015

À l'église réformée de l'Oratoire du Louvre

145 Rue Saint Honoré, 75001 Paris

Introduction

Ce que tes Pères t'ont légué, il te faut l'acquérir pour le bien posséder. Goethe, Faust I

L'art du canon a traversé les époques, des premières polyphonies jusqu'au canon introduit dans la composition sérielle du XXème siècle. Souvent utilisé comme un art pédagogique, il sera également porté à son apogée par des figures comme Bach, Brahms ou Schönberg.

Exclusivement pour voix égales de femmes, Brahms écrit au fil de sa vie un recueil de treize canons, titrés Canons énigmatiques, utilisant parfois des thèmes d'autres compositeurs chers à ses yeux, vieux maîtres ou pères directs, comme le thème du "Joueur de vièle" du Voyage d'Hiver de Schubert, qui clôt de façon profondément romantique ce recueil. D'une grande nostalgie, sur des textes des plus grands poètes germaniques (Rückert, Goethe, Eichendorff), ces treize canons harmonisés de deux à six voix contiennent de nombreux chefs d'œuvre du genre, encore peu connus aujourd'hui.

Autour de ces canons, fil rouge de ce programme, quelques-uns des plus beaux cycles à voix égales de Schumann, Schubert et Brahms, dont les Quatre chants opus 17 pour voix de femmes, deux cors et harpe viendront clore ce panorama.

 

Prologue

Chers amis...

C'est une joie de vous retrouver pour le désormais traditionnel concert hors les murs de la Fondation Singer-Polignac, au cours duquel l'ensemble Pygmalion va interpréter un programme de musique vocale à voix égales.

J'en profite pour rappeler que les « voix égales », ce sont les voix féminines, ou les voix masculines – par opposition au chœur mixte qui mélange les hommes et les femmes. Ce soir, donc, il s'agira d'un chœur féminin composé de sopranos et d'altos. Mais, surtout, ce programme a deux fils conducteurs : l'un plutôt poétique illustrant certains sujets récurrents du romantisme allemand – les Sirènes, les Berceuses, les Filles du Rhin – à travers des pages de Schubert, Schumann, Brahms et Wagner ; l'autre plutôt technique qui nous invite à redécouvrir le principe du canon, présent dans la plus grande partie de ces œuvres, et auquel je voudrais m'arrêter un instant.

Nous avons tous fredonné le canon de Frère Jacques avec ses voix décalées. Mais il faut savoir que ce jeu est l'un des plus anciens, des plus universels et des plus présents dans toute l’histoire de la musique. Car, si la musique savante occidentale commence par des œuvres à une seule voix, qu'il s'agisse des litanies grégoriennes ou des chansons de troubadours, les compositeurs ont pris l'habitude de superposer les voix dès le douzième siècle, notamment dans les grandes œuvres de l'école de Notre Dame. Et, dès qu'ils ont écrit plusieurs lignes de chant parallèles, ils ont aussi commencé à les décaler selon le principe du canon. Qu’il s'agisse de canons stricts, ou de moments de canon, toute la musique polyphonique du Moyen-âge recourt à ce procédé qui va culminer à la Renaissance dans des canons un peu fous à quarante ou cinquante voix.

Après ce premier âge d'or, la musique de l'époque baroque sera moins systématiquement fondée sur la polyphonie et recourra donc moins au canon. Mais cette technique prend à nouveau une place très importante en Allemagne avec le développement de l'art de la fugue et la musique vocale religieuse issue du choral luthérien. On pense évidemment à Jean-Sébastien Bach dont L'Art de la fugue et l'Offrande musicale regorgent de canons, mais ce renouveau de la polyphonie se prolonge bien au-delà, notamment chez Schumann et Brahms qui vont remettre le canon à l'honneur dans de nombreuses compositions. J'ajoute, même si ce n'est pas ce soir notre sujet, que le canon jouera encore un rôle essentiel dans la musique du XXe siècle, puisque c'est un des principes récurrents de la musique sérielle de Schönberg et de Webern, et qu'on le retrouve, sous d'autres formes chez Stravinski ou chez les compositeurs de musique répétitive, comme Steve Reich.

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Ce soir, comme je vous l'ai dit, nous nous en tiendrons à la place du canon chez quelques compositeurs du XIXe siècle, avec d'abord une œuvre dispersée tout au long de ce programme : les Canons opus 113 de Brahms, que vous entendrez dans la première partie Les filles de Morphée, la troisième partie, Sérénade, et dans la cinquième partie, Monotone est le chagrin d'amour. Ces canon sont en fait issus d'un recueil intitulé Treize canons pour voix de femmes à trois, quatre et si parties, l'une des dernières compositions de Brahms, qui semble avoir voulu rassembler divers canons esquissés tout au long de sa vie. Il s'agit tantôt de chansons populaires, tantôt de lieder poétiques, mais ce sont tous des canons très stricts. Et vous entendrez également plusieurs canons de Schumann, issus de ses très beaux et méconnus recueils de Romances à voix égales, au début de la deuxième partie, Sirènes, et au milieu de la quatrième partie, Les Pleureuses.

Dans toutes ces œuvres, la vieille tradition du canon se mêle à l'inspiration poétique de Goethe, Rückert ou Eichendorf. Et c'est aussi l'occasion de rappeler que le répertoire vocal du romantisme allemand ne se résume pas au lied pour voix soliste et piano, mais qu'il comporte aussi quantité de pièces polyphoniques. Tous ces ensembles vocaux de Schubert, Schumann ou Brahms, relativement peu connus en France, sont d'ailleurs beaucoup plus populaires en Allemagne où ils ont nourri une pratique chorale très intense.

Pour souligner davantage encore le caractère romantique du programme, l'ensemble Pygmalion et son chef Raphaël Pichon l'ont construit comme un jeu d'enchaînements, d'effets de miroir, incluant plusieurs sonneries de cor – instrument cher à ces compositeurs si souvent inspirés par la forêt et par la nature. Ils ont également confié la partie d’accompagnement à la harpe, selon un usage courant au XIXe siècle. Certaines pièces, comme le Psaume de Schubert ou les Quatre chants de Brahms qui terminera le programme, sont d'ailleurs expressément conçues pour voix et harpe, tandis que d'autres ont été transcrites pour Emmanuel Ceysson.

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Je voudrais donc, à présent, revenir rapidement sur le déroulement du programme, en commençant par la première partie qui s'ouvrira sur une sonnerie tirée d'un chœur de Brahms intitulé Je brandis mon cor. Cette première partie intitulée Les filles de Morphée fait référence à l’importance des berceuses dans le répertoire vocal allemand du XIXe siècle : comme dans ce canon de Brahms sur un poème de Goethe, Divin Morphée ou dans ce Wiegenlied – qui signifie précisément « berceuse » – de Schumann.

La seconde partie, Sirènes, évoque l'appel de la mer, lui aussi très présent dans l'inspiration romantique et dans ce pays terrien qu'est l’Allemagne. Elle comporte deux romances de Schumann, Au milieu de la mer sur un poème de Rückert et La Fée des mers sur un poème d'Eichendorff, encadrant une pièce religieuse de Schubert où l'on pourrait entendre comme une évocation du chant des sirènes.

La troisième partie, intitulée Sérénade, s'ouvrira sur une sonnerie du Siegfried de Wagner ; et il y a un peu de malice à rapprocher ainsi Wagner et Brahms qui ne s'aimaient pas du tout, Wagner qualifiant Brahms de « chanteur de rues », tandis que Brahms avouait : « J'écoute Wagner aussi souvent et attentivement que je puis le supporter ». Ils représentent pourtant deux faces, pas toujours si antagonistes, du romantisme allemand dont on retrouvera ensuite l'une des sources pures avec la Sérénade de Schubert.

La quatrième partie, Les pleureuses s'ouvre sur un canon religieux de Schubert. Mais ce sujet fait surtout référence aux légendes celtes, également très présentes dans le romantisme allemand, avec Di Capelle de Schumann, écrit en double-canon, et Coronach, une mélodie de Schubert inspirée par le thème romantique et fantastique de La Dame du lac de Walter Scott.

Le titre de la cinquième partie Monotone est le chagrin d'amour, parle de lui-même. Nous entendrons d'abord une célèbre chanson populaire d’Isaac, que Brahms aimait particulièrement, suivie par une sonnerie de cors tirée d'un lied de Schumann. Après quoi nous retrouverons deux canons de Brahms, le premier sur un poème de Goethe, L'amour s'est montré cruel pour moi ; le second faisant précisément appel à ces paroles de Rückert : Le chagrin d'amour est monotone. A noter que cette pièce emprunte le thème du joueur de vielle de Schubert, dernier lied du Voyage d'hiver.

Enfin, Les Filles du Rhin, dernière partie du programme renvoie à toute la rêverie romantique autour du grand fleuve et de sa Loreleï ; mais aussi, bien sûr, à la thématique wagnérienne. Wagner se rapprochera ainsi une seconde fois de Brahms : avec d'abord le chant des Filles du Rhin, tiré du Crépuscule des dieux, accompagné par la harpe et deux cors ; et enfin une grande composition de Brahms, les Quatre chants opus 17 avec accompagnement de deux cors et harpe. Cette œuvre créée à Hambourg en 1861, lors d'un hommage à Robert Schumann est écrite sur des poèmes de Ruperti, Shakespeare, Eichendorff et Ossian. Et elle nous permet de conclure sur un vaste ensemble vocal et poétique ce programme composé, pour l'essentiel, de brefs, rares et précieux moments musicaux.

Benoît Duteurtre

Programme

Prologue : Benoît Duteurtre

LES FILLES DE MORPHÉE

Johannes Brahms (1833-1897)

Ich schwing mein Horn pour deux cors opus 41 n° 1

Deux canons sur des poèmes de Goethe opus 113

  • Göttlicher Morpheus

Robert Schumann (1810-1856)

Wiegenlied opus 78 n° 3 (arr. Vincent Manac’h)

 

SIRÈNES

Robert Schumann

Deux romances à voix égales opus 91

  • In Meeres Mitten

Franz Schubert (1797-1828)

Psaume XXIII Gott ist mein Hirt D. 706 pour voix de femmes et harpe

Robert Schumann

Deux romances à voix égales opus 69

  • Meerfey

 

SÉRÉNADE

Richard Wagner(1813-1883)

Sonnerie de Siegfried pour cor seul 

Johannes Brahms

Trois Volksieder en canon pour voix de femmes opus 113

  • Wille, wille will der Mann ist kommen !

Franz Schubert

Ständchen D. 920 pour mezzo-soprano, chœur de femmes et harpe

 

LES PLEUREUSES

Franz Schubert

Lacrimosa son io D. 131b canon à trois voix égales

Robert Schumann

Deux romances à voix égales opus 69

  • Die Capelle

Franz Schubert

Coronach D. 836 pour voix de femmes, harpe et deux cors

 

MONOTONE EST LE CHAGRIN D’AMOUR !

Heinrich Isaac (1450-1517)

Innsbruck ich muss dich lassen (transcription de Vincent Manac'h)

Robert Schumann

Sonnerie pour deux cors d'après Jäger wohlgemuth opus 91 n° 8

Johannes Brahms

Deux canons sur des poèmes de Goethe opus 113

  • Grausam erweiset sich Amor an mir

Johannes Brahms

Canon à six voix sur un poème de Rückert opus 113

  • Einförmig ist der Liebe Gram

 

LES FILLES DU RHIN

Richard Wagner

Le Crépuscule des Dieux (acte III)

  • Chant des filles du Rhin pour choeur de femmes, deux cors et harpe (transcription Vincent Manac'h)

Johannes Brahms

Vier Gesänge opus 17 pour voix de femmes, deux cors et harpe

  • Es tönt ein voller Harfenklang
  • Lied von Shakespeare
  • Der Gärtner
  • Gesang aus Fingal

 

Interprètes

Raphaël Pichon, l'ensemble Pygmalion, Philippe Bord, Anneke Scott & Emmanuel Ceysson © FSP JFT

Pygmalion

Mathilde Bobot, Armelle Cardot Froeliger, Lucie Chartin, Anne-Emmanuelle Davy, Judith Fa, Alice Foccroulle, Ellen Giacone, Marie-Frédérique Girod, Marie Griffet, Nadia Lavoyer, Violaine Le Chenadec, Hélène Walter soprano

Myriam Arbouz, Corinne Bahuaud, Jean-Christophe Clair, Stéphanie Leclercq, Cécile Pilorger, Marie Pouchelon, Emilie Nicot, Guilhem Terrail alto

Anneke Scott, Philippe Bord cor 

Emmanuel Ceysson harpe 

Raphaël Pichon direction

Biographie

Ensemble Pygmalion

Fondé en 2006 à l’occasion de l’Europa Bach Festival, Pygmalion naît de la réunion d’un chœur et d’un orchestre sur instruments anciens, constitué de jeunes musiciens aux parcours divers. Principalement centré sur Johann Sebastian Bach et Jean-Philippe Rameau, le répertoire se veut néanmoins en réponse à sa formation, se permettant de passer du répertoire baroque au romantisme naissant, jusqu’à la création contemporaine. Le projet de Pygmalion s’inscrit également dans la recherche d’un noyau de musiciens fixe et fidélisé.

Invité régulier du Festival de la Chaise-Dieu depuis 2007, Pygmalion se produit notamment Salle Pleyel, aux festivals de Beaune, de Saint-Denis, de Montpellier – Radio France, de Saintes, de Sablé, Lessay, d’Ambronay, à la Folle Journée de Nantes, à l’Opéra Comique, aux opéras de Bordeaux, Versailles, Besançon et Rouen. Pygmalion est également régulièrement invité à l’étranger, à Musikfest Bremen, au Palau de la Musica de Barcelone, au Bozar de Bruxelles, à la Philharmonie de Hambourg, au festival d’Oslo, en tournée au Mexique, au festival Maya de Merida, au Cervantino de Guanajuato et au Teatro de la Ciudad de Monterrey.

Après les Missae Breves, la Messe en si mineur dans sa version primitive de 1733, le Magnificat, des programmes originaux croisant cantates et création contemporaine, Pygmalion poursuit son travail sur l’œuvre de Johann Sebastian Bach en créant en 2011 une première reconstitution totale du Tombeau pour le Prince de Cöthen BWV 244a. En 2013, Pygmalion propose sa première Passion selon St Jean, ainsi que la version totale de la Messe en si mineur BWV 232, en tournée à l’auditorium de Bordeaux, à la Halle aux Grains de Toulouse et Salle Pleyel.

En 2011, Pygmalion débute un partenariat avec le Festival de Beaune et les opéras de Bordeaux et Versailles autour de trois tragédies lyriques de Jean-Philippe Rameau, débutant avec la seconde version inédite de Dardanus, et se poursuivant avec Hippolyte & Aricie dans sa version de 1757.

Parallèlement au répertoire baroque, Pygmalion initie avec son chœur un travail autour des romantiques allemands, débutant en 2011 avec l’œuvre sacrée de Brahms et Bruckner pour la Folle Journée de Nantes, puis autour de Schubert aux côtés du pianiste Adam Laloum au festival de la Roque d’Anthéron et à l’Opéra de Bordeaux.

Les projets futurs de Pygmalion de la Messe en ut de Mozart, du Requiem allemand de Brahms, de cantates de Bach autour de la Réforme, de Christoph Bernhard, et de la Passion selon St Matthieu. En 2014-2015, le chœur Pygmalion se produit à la Cité de la musique, à Ambronay, Bordeaux, Toulouse, St Denis, Amsterdam, Royaumont, Versailles, à Sao Paulo, Rio de Janeiro, la Chaise-Dieu, Lessay, Brême, entre autres.

Les premiers enregistrements de Pygmalion pour Alpha, les quatre Missae Breves BWV 233 à 236 de Johann Sebastian Bach reçoivent un accueil enthousiaste de la critique, récompensés du Diapason d'Or de l'année 2008, de l'Orphée d'Or 2008 de l'Académie du disque lyrique, ou encore d’un Editor’s Choice de Gramophone. En septembre 2012 paraît pour Alpha la Missa 1733 de Bach, saluée par un ffff de Télérama et d’un « coup de cœur » de l’Académie Charles Cros, suivi en septembre 2013 de l’enregistrement live de Dardanus à l’Opéra Royal de Versailles, premier volume de la nouvelle collection Alpha – Château de Versailles Spectacles, également distingué d’un ffff de Télérama.

Depuis 2014, le chœur Pygmalion enregistre pour Harmonia Mundi. Le permier album né de cette collaboration est consacré à la Köthener Trauermusik, primé par un Choc de Classica et un ffff de Télérama. Suivra l’enregistrement live de Castor & Pollux, au printemps 2015.

Pygmalion est depuis le 1er janvier 2014 ensemble en résidence à l’Opéra national de Bordeaux et est subventionné par la Direction régionale des affaires culturelles d’Aquitaine et la Ville de Bordeaux. Pygmalion reçoit le soutien d’EREN Groupe, de la Fondation Orange, ainsi que de la Région Ile-de-France. Pygmalion est en résidence à la Fondation Royaumont, au festival de Saint-Denis et à la Fondation Singer-Polignac.

Le chœur de Pygmalion est lauréat 2014 du Prix pour le chant choral de la Fondation Bettencourt-Schueller.